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Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/182

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conserve toujours l’espoir : « Notre amitié longtemps orageuse, me dit-elle, est enfin arrivée au port, et rien ne nous empêchera plus d’avoir l’un pour l’autre les sentiments d’estime et d’affectueux empressement que des rapports marqués d’idées et de caractères, joints aux immenses services rendus par moi à sa famille, avaient rendu si naturels entre nous. »

» Mais qu’il y a loin de ce qu’il plaît à la chère dame appeler le port ! Ce que j’ai à faire aujourd’hui est un peu plus difficile que d’arrêter des chevaux emportés ou d’aller souffleter M. Bélisaire.

» Enfin, je m’en remets à la Providence et me console au moins en pensant que cette idée fixe, dont je suis intérieurement tourmenté depuis plus d’un an, va décidément passer dans le domaine de l’action, et que je n’aurai plus à lutter contre un fantôme.

» Au milieu de la triste préoccupation où j’ai vécu, j’aurais quitté, mon cher Bricheteau, ce pays dont la physionomie est si pittoresque sans vous rien faire connaître de ses mœurs et de ses usages. Que je vous en dise pourtant quelque chose, au moins par le côté qui doit surtout vous intéresser.

« Vous saurez donc que la musique est ici cultivée avec passion, et qu’en particulier la musique religieuse y est en grand honneur. Aucune des résidences royales en Europe n’offre une chapelle comparable à la Capella Real, qui avait, il y a quelques années pour maître de chœur, Marcos Portugal, qu’on avait exprès appelé d’Italie, et pour organiste Neukomm, l’élève favori de Haydn. Une chose, par exemple, qui vous étonnerait fort et ne serait guère de votre goût, ce serait de voir et d’entendre, ainsi que le raconte Debret dans son Voyage au Brésil, une espèce d’orchestre en plein vent, installé les jours de grande fête à la porte des églises à peu près le même tintamarre que les saltimbanques de nos foires pour le compelle intrare dans leurs baraques de géantes et de veaux à deux têtes. Mais il faut se hâter d’ajouter qu’à l’intérieur les fidèles entendent une musique généralement bonne et surtout plus appropriée à sa pieuse destination. D’ailleurs, dans sa naïveté, la dévotion brésilienne ne pense pas à se scandaliser de cette burlesque cacophonie,