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Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/181

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considéré, je crois que l’idée d’être duchesse finira par triompher de la résistance qu’elle avait faite jusqu’ici à son étoile ; ne dirait-on pas, en effet, que sa destinée est d’être toujours aimée par des vieillards, tous grands seigneurs et tous empressés à se mésallier avec elle ? La voilà maintenant en passe d’être duchesse d’Almada, et quoique j’en aie dit, peut-être l’idée que ce vieillard de quatre-vingt-trois ans ne durera guère et qu’il fera d’elle une très enviable douairière la décidera-t-elle à accepter ce parti, sauf à me revenir si elle avait en effet un peu d’amour pour moi, quand elle se sera ainsi réhabilitée de son mauvais passé.

» Mais, si c’est là son idée, elle fait un bien faux calcul, car au fond de cet arrangement il y aurait une senteur de spéculation qui m’éloignerait à jamais d’elle, à supposer que je puisse être amené à en vouloir pour femme. Pauvre ignorante, elle ne sait pas que maintenant, avec les tristes découvertes que j’ai faites, la manière de s’élever jusqu’à moi est de descendre, et à peu près aussi bas qu’on puisse s’abaisser. Il ne s’agit pas, en effet, de savoir si le secret me sera ou non gardé par MM. de Trailles et Rastignac. La question est que jamais femme ne sera la mienne sans avoir été préalablement mise au fait de ma honteuse origine, et voyez un peu la belle habileté de se faire grande dame pour arriver à épouser le fils de ma mère et le fils de mon père surtout !

» Dans quelques jours, je me mets en route pour Montevideo, de là je gagnerai Buenos-Ayres, et ensuite, par les provinces d’Entre-Rios et de Corrientes, je me rendrai dans la ville du même nom, où j’organiserai mon expédition. De Corrientes, vous recevrez la dernière lettre que je vous écrirai avant d’entrer dans le désert, où je n’aurai plus sans doute aucune occasion de vous faire parvenir de mes nouvelles.

» J’ai reçu la lettre que vous m’avez fait passer de la part de madame de l’Estorade. Elle parle de la perte qu’elle a faite d’une manière parfaitement convenable et sans cet étalage de douleur qui fait douter de la sincérité des regrets. Elle me dit qu’elle met toute son étude à persuader à Naïs que mon retour en France ne doit pas être attendu ; mais elle ajoute que, pour son compte, elle en