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Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/235

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impossible qu’un homme de mon âge eût la prétention de peser dans des questions de cette importance ? Telle est cependant mon ambition bien arrêtée : entre ces deux mariages il y a une corrélation positive, et j’entends empêcher l’un, afin que l’autre se fasse ; le but de ma visite, je pense, est ainsi très nettement posé.

— Seulement, repartit Sallenauve, quel est le mariage que vous voulez faire ? quel est celui qui doit être sacrifié à l’autre ? voilà ce qui a besoin d’être expliqué.

— Le mariage qui ne se fera pas, dit Armand avec l’aplomb le plus insolent, c’est celui de ma mère.

— Ah ! dit Sallenauve, et madame votre mère, vous lui avez fait connaître vos intentions !

— Non, monsieur, j’ai pour ma mère trop de respect pour lui signifier une prétention, quelle qu’elle soit, d’influencer sa volonté ; mais c’est à vous, monsieur, à votre honneur, que je m’adresserai pour vous demander de ne pas persévérer dans une recherche dont le premier effet a été d’attirer sur notre famille un procédé insultant.

— Vous voulez, sans doute, parler, demanda Sallenauve, de l’attitude prise par la famille Rastignac, et c’est moi qui, à votre avis, serais cause qu’elle se tient en ce moment sous sa tente ?

— Dès l’autre jour, répondit Armand, je n’en faisais pas un doute, mais, à l’heure qu’il est, j’en ai acquis la certitude positive. Hier, en dînant au Café de Paris, je me trouvai placé dans le voisinage d’une table où une personne que je ne vous nommerai pas causait avec un de ses amis. On parla de votre mariage, qui déjà malheureusement n’a reçu que trop d’ébruitement : « C’est inimaginable ; il faut que madame de l’Estorade soit folle, disait la personne dont j’entends vous cacher le nom. — Pourquoi ? répondit l’autre ; il paraît que c’est un attachement fort ancien ; Sallenauve sans doute a eu une mère un peu compromettante, mais il a été reconnu par un très bon gentilhomme dont il porte le nom ; moi, je trouve que si madame de l’Estorade a de l’amour pour lui elle fera très bien de l’épouser. Il est riche ; d’ailleurs, c’est un homme très distingué. — D’accord, répondit l’interlocuteur malveillant ; mais il y a dans la vie de cet homme, voyez-vous, des choses que personne