Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/237

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— Mon grand-père, dit Armand, ne sait rien encore de tout ce que j’ai appris, et d’ailleurs, ajouta-t-il avec un comique achevé, M. de Maucombe a toujours été pour sa fille d’une insigne faiblesse : pour moi, monsieur, qui ne saurais jamais transiger avec ma considération et avec celle de ma famille, je prends sous ma responsabilité de vous dire que je ne souffrirai pas pour ma mère un mari dont le nom seul éloigne de notre alliance.

— Alors, dit Sallenauve, vous lui intimerez votre opposition, et elle aura à vous signifier des actes respectueux !

— Non, monsieur, je ne manquerai jamais aux égards que je dois à ma mère ; mais à vous, monsieur, qui avez jeté sur elle un charme, je vous défendrai de passer outre.

— Vous me défendrez ? répondit Sallenauve avec dédain : mais, à toute défense, jeune homme, il faut une sanction.

— Monsieur, dit Armand en élevant considérablement la voix, entre gens comme il faut il y a une manière bien connue de s’entendre, quand on ne s’entend pas, et tenez pour certain que quand il est question de l’honneur de notre maison, il n’est pas d’extrémité devant laquelle on me voie reculer.

Depuis un moment, Bricheteau était derrière la porte ; entendant parler très haut, il s’était arrêté pour écouter. Sur cette provocation chevaleresque, il entra et dit à Armand :

— Ah ça ! mon cher ami, à quoi pensez-vous donc ? vous vous imaginez sans doute parler à M. Bélisaire ?

Roulé pour la seconde fois sous ce cruel et ridicule souvenir, Armand se dressa de toute sa hauteur et demanda à Bricheteau de quel droit il se permettait d’intervenir dans une question qui, d’aucune manière, ne le regardait.

— Du droit, répondit Bricheteau, de mes cheveux blancs ; du droit de l’estime et de l’affection que me porte votre mère ; du droit qu’un homme ayant toute sa raison, quand il se trouve en présence d’un jeune fou, a de le maintenir dans la limite du ridicule pour l’empêcher de tourner à l’odieux.