Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/257

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elle pas bien celle de mademoiselle Jacqueline Collin ?

Un éclair de joie parut dans les yeux de Vautrin ; mais, le doute venant aussitôt l’éteindre :

— Oh ! ce que vous me promettez là, monsieur, n’est pas possible : associer votre vie si noble, si pure, à la mienne abreuvée d’infamie !

— Bricheteau est là pour vous le dire ; ce qu’une fois je me suis promis de faire, je le fais.

— Mais me convient-il de vous imposer un pareil sacrifice ? Ai-je droit à tant de bonheur ? Tenez, monsieur, si ce que vous dites arrivait, je crois que Dieu, si souvent renié par moi, ne pourrait pas longtemps me laisser jouir d’une félicité pareille : bien sûr ce serait ma dernière heure qui serait près d’arriver.

— Dieu, répondit Sallenauve, est plein de miséricorde pour les repentirs sincères ; et moi, monsieur, qui vois toute l’étendue du vôtre, je commence à me demander si, jusqu’ici, j’ai été avec vous ce que je devais être. Espérez donc mieux de l’avenir ; votre résignation, votre chaleureux empressement pour moi ne m’ont pas, je dois vous l’avouer, laissé insensible. Je finis par comprendre que le lien sacré qui existe entre nous me crée des devoirs, et ces devoirs, si vous êtes bon pour moi, si vous me faites le sacrifice que je vous demande, qui vous dit, qu’après les avoir accomplis sans répugnance, je ne finirai pas par les remplir avec joie ?

— Oh ! dit Vautrin avec découragement, c’est un marché que vous faites afin d’avoir la liberté d’aller vous faire tuer !

— Et si je vous disais que je suis sûr de ne pas rester dans ce duel, dont j’espère, au contraire, dans ma vie les plus grandes simplifications ! Voudriez-vous, par un zèle mal entendu, me déposséder d’une chance que j’attends et que je désire depuis près de six années ? Un seul obstacle sérieux s’est rencontré sur mon chemin dans le cours de mon existence, qui, malgré les difficultés du point de départ, a été signalée par d’insignes faveurs de la fortune ; si M. de Trailles, cet obstacle, est habile, moi j’ai de l’étoile, et vous en avez aussi.

— C’est vrai, dit Vautrin ; après tant d’orages, être près d’aborder au port que vous me faites entrevoir !