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Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/27

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» — Comment ! vous ne voyez pas, s’écria M. de l’Estorade, que vous êtes avec M. de Sallenauve d’une maussaderie et d’une froideur glaciales ? Au lieu de l’attirer, vous semblez vous étudier à le tenir à distance.

» — Je m’étudie à être convenable, répondis-je. Je ne puis cependant me jeter à sa tête, et il me semble que vous devriez être le dernier à me le reprocher.

» — Mon Dieu, si le projet vous plaisait, vous sauriez bien trouver le juste-milieu entre des façons trop réservées et une manière d’être trop attirante. Du reste, prenez-y garde, et avec votre sourde opposition, vous pourriez me donner telle idée… — Achevez, monsieur, dis-je avec un peu d’animation, je réserve pour moi le gendre que vous voudriez à votre fille ?

» — Non, je ne suis pas si sot de croire qu’une femme de votre vertu et de votre prudence puisse jamais avoir la plus lointaine pensée d’une atteinte à la fidélité conjugale, mais de mère à fille il se passe souvent de fâcheuses choses, comme l’une monte quand l’autre descend…

» — Ah ! très bien, je suis jalouse de Naïs, et on doit voir en moi une espèce de chien du jardinier, ne voulant pas manger son os, mais ne voulant pas que les autres y mordent.

» — Eh ! fit M. de l’Estorade d’un air capable, vous approchez assez de l’âge où les femmes, même à leur insu, font de ces jolis petits calculs.

» Je vous demande, chère madame, ce qui doit se passer en moi en me voyant devenue l’objet d’une si sotte et si digne insinuation. Moi, jalouse d’une enfant ! moi, envieuse de ma fille ! À coup sûr, j’eusse mieux aimé m’entendre dire que, passionnée pour M. de Sallenauve, je m’épouvantais de l’idée de le voir s’engager ailleurs ; cela eût été moins bête et moins monstrueux.

» Ma conclusion fut celle-ci : — Pour vous prouver, monsieur, que je suis sans arrière-pensée, à dater d’aujourd’hui je vais être avec M. de Sallenauve d’une bienveillance si marquée et si chaleureuse, que lui-même, probablement, se trouvera étonné de la révolution qui se sera opérée en moi. Vous affirmer que je serai assez adroite pour ménager tellement les nuances, qu’il ne s’y trompe pas lui-même et qu’il fasse nettement la distinction entre