Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/28

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des avances de femme et des caresses de belle-mère, c’est ce que je ne prendrai pas sur moi ; mais quand vous trouverez que je vais trop loin, vous-même voudrez bien prendre le soin de m’avertir, et je crois que ce moment viendra plus tôt que vous ne pensez.

» — À moins, me répondit M. de l’Estorade, que vous ne vouliez tricher et charger votre rôle pour faire tomber la pièce, je suis sûr au contraire que vous le remplirez à mon entière satisfaction, et, pour ce qui est de ma jalousie, vous savez bien que son siège n’est pas dans mon cœur, mais dans un autre viscère qui, Dieu merci ! me laisse assez en paix dans ce moment.

» Ainsi, chère Madame, me voici engagée dans la plus sotte des gageures, et, comme les jongleurs indiens, mon métier va être de manier tous les jours le feu sans en être brûlée.

» Somme toute, ainsi que je vous le disais en commençant, je tourne à être fataliste. Depuis tantôt un an j’ai, ce me semble, assez vaillamment combattu. Perdue dans une sorte de labyrinthe, par quelque chemin que je prenne, je suis toujours ramenée au point dont je veux et crois m’éloigner. Je m’appliquerai à moi-même, si vous le trouvez bon, les conseils que vous me donniez autrefois au profit de M. de Sallenauve, celui de ne pas exaspérer l’ardeur de la poursuite par l’imprudence forcenée de la fuite. À force de vouloir éviter cet homme, vous verrez que, quelque jour, je me trouverai tomber dans ses bras. Puisque tout le monde se met de la partie ; mon mari, qui m’ordonne aigrement d’être coquette : le hasard qui, de loin en loin, lui donne un de mes enfants à sauver de quelque mort affreuse, je ne veux plus résister au penchant que tout d’abord je me suis senti pour lui. Qu’arrivera-t-il, après tout ? que je le trouverai plus spirituel, plus intelligent, d’un cœur plus grand et plus généreux que tous les autres hommes, et que j’aimerai mieux le voir et l’entendre que tous ceux qui ne le valent pas. Où sera le grand mal ? En serai-je pour cela moins bonne mère, moins fidèle épouse ? L’autre jour je lisais dans Vauvenargues : Il y a un amour pur et exempt du mélange de nos autres passions ; c’est celui que nous ignorons nous-mêmes. Certes, si jamais pour M. de Salle-