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Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/282

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la mort de sa femme et me pressa de l’épouser. C’était impossible, j’aurais encouru votre mépris. Je raisonnai ce pauvre vieillard, qui de moi ne pouvait vouloir que la certitude de m’avoir auprès de lui jusqu’à sa mort.

Deux jours après mon sermon, nous faisions une promenade en mer sur une embarcation légère ; c’était le soir, la brise était fraîche, le duc voulut me remettre sur les épaules mon châle qui avait glissé ; comme il se levait, un brusque mouvement de la barque lui fit perdre l’équilibre, et il fut précipité par dessus bord. Je nage passablement ; toutes les Transteverines savent nager dès leur jeune âge ; je me jetai après le vieillard, que j’eus le bonheur de sauver. Le lendemain, venant me remercier, car son accident n’avait point eu de suite : Eureka ! me cria-t-il.

« Oui, ajouta le duc, j’ai trouvé la solution du problème ! La loi, sans aucunes formalités permet d’adopter celui qui vous a sauvé dans un combat ou en vous arrachant aux flammes ou aux flots ; vous ne serez pas ma femme, vous serez ma fille et vous hériterez de ma fortune et de mon titre. »

Dites-moi, monsieur, ai-je bien fait d’accepter ?

— Sans aucun doute, répondit Sallenauve, votre courageux dévoûment arrangeait tout.

— Sa majesté brésilienne, reprit la Luigia, ne fut pas de votre avis, et, à raison de ma condition de comédienne, sans le passé, qu’elle ignorait, elle s’opposa de toutes ses forces à l’adoption qu’avait décidée le duc, jusqu’à le menacer d’une disgrâce, s’il passait outre.

« C’est bien ! me dit mon père en m’apportant l’acte en bonne forme et en me racontant la désapprobation qu’il avait encourue en haut lieu ; vous me parlez souvent de l’Italie, nous irons y finir mes jours. »

Et voilà, monsieur, comment vous me trouvez ici.

— Je ne m’en étonnerais pas, répondit Sallenauve, même quand l’explication serait moins naturelle ; nous le disions il y a un moment avec Bricheteau : tout arrive.

— Même, demanda la Luigia, que le vieux prince ici régnant soit devenu amoureux de moi, et qu’il ne tienne qu’à moi de devenir sa femme ?

— Sans doute, dit Sallenauve, vous êtes comme Hélène, dont la beauté, selon Homère, parlait au cœur des vieil-