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Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/35

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tiches sa longue chevelure et ses favoris blancs, avait accès dans le cabinet du ministre. Des lunettes bleues et une perruque noire le rendaient complètement méconnaissable, et le chef du cabinet, le jeune de Restaud, le prit pour un conducteur des ponts-et-chaussées venant faire au ministre quelque communication secrète.

Quand Rastignac se trouva seul à seul avec son ancien co-pensionnaire de la maison Vauquer :

— Asseyez-vous donc, monsieur de Saint-Estève, lui dit-il d’un ton protecteur qui conservait soigneusement entre eux la distance ; cependant le ministre voulait évidemment mettre de la bonhomie dans leur entrevue, car aussitôt que Vautrin eut pris place :

— Il y a bien longtemps, continua-t-il, que nous nous connaissons !

Vautrin était trop habile pour se laisser entraîner, par ce souvenir, à quelque familiarité. Il en induisit seulement que Rastignac pouvait bien avoir besoin de lui, et, se promettant de jouer serré :

— En effet, monsieur le ministre, se contenta-t-il de répondre, il y a quelque dix ans.

— J’ai dû, jusqu’à présent, continua Rastignac, ajourner le moment d’utiliser votre bonne volonté et votre intelligence ; sans qu’il y parût, je vous étudiais ; mais, décidément, je crois que vous ferez merveille dans la nouvelle carrière à laquelle vous aspirez. Vous avez très vaillamment conduit jusqu’au bout votre personnage de comte Halphertius, et la mystification faite au marquis de Ronquerolles a été d’autant plus plaisante que vous avez su vous arrêter à temps. Oui, je le crois, vous êtes capable de nous rendre de vrais services.

— Monsieur le ministre est bien bon, j’y ferai de mon mieux.

— Maintenant, continua Rastignac, vous êtes-vous bien rendu compte de la nature et de la difficulté des fonctions qui pourront vous être confiées ?

— J’ai un grand désir de m’en voir investi : quelques ressources dans l’esprit, beaucoup de résolution.

— Ces qualités, je ne les mets pas en doute ; mais, dans un agent politique, la docilité qui exécute fidèlement sans y vouloir trop mettre du sien, et, par-