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Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/36

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dessus tout, la discrétion, voilà ce qui doit être attendu.

— Je n’ai jamais, répondit Vautrin, été dans l’usage de beaucoup dire mes affaires, et je sais ce que c’est que la hiérarchie.

— Corentin (voir Splendeur et Misère des Courtisanes), auquel il est probable que, dans un temps donné, vous succéderez, reprit le ministre, a certainement des côtés excellents, du sang-froid, de l’invention, du parti-pris ; mais, outre qu’il se fait vieux, il a trop la prétention de savoir où vont ses actes. Au lieu d’être l’instrument qui reçoit l’impulsion, il veut être la pensée qui ordonne, et comme, naturellement, on ne peut pas tout lui dire, il tâche à deviner, et souvent fait fausse route. Après cela, il n’est pas homme de coup de main, et là où suffirait la force, il emploie la finesse, dont les résultats sont beaucoup moins sûrs quand l’affaire ne la comporte pas essentiellement.

— Malgré tout, dit Vautrin, c’est un homme remarquable.

On est toujours disposé à louer l’homme que l’on enterre.

— La première affaire dans laquelle je voudrais vous essayer, dit Rastignac, est une affaire facile en elle-même ; il s’agit de nous mettre en possession de documents pour nous très importants et que nous savons entre les mains d’un individu.

— Très bien ! monsieur le ministre.

— L’homme auquel nous avons affaire peut être connu de vous : il a été employé pendant longtemps dans un des services de la préfecture de police, celui de la salubrité publique.

— N’est-ce pas un employé qui a été destitué lors des dernières élections ?

— Précisément, et, à votre prompte manière de le flairer, je reconnais le limier de race. Cet homme est un intrigant de la pire espèce, que l’esprit d’opposition a peu à peu conduit à la conspiration. Sous un extérieur de bonhomie, il cache un très dangereux meneur, et nous sommes sûrs qu’en nous emparant de ses papiers, nous y trouverons de grandes lumières sur le travail des sociétés secrètes.