Aller au contenu

Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/58

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ligieux à remplir, mais en réalité pour rompre un entretien où elle se sentait, comme on dit, trop serrer le bouton, tant que je vivrai, continua-t-elle, vous aurez une grande part dans mes prières et dans celles de la communauté ; mais vous n’avez pas longtemps à compter sur ma recommandation auprès du bon Dieu, si tant est qu’elle vaille quelque chose. Votre vieille amie s’en va, et, à votre premier voyage à Arcis, je doute bien que vous la retrouviez.

Là-dessus, elle se mit en devoir de quitter Sallenauve, le laissant assez attristé de cette idée de séparation et de plusieurs des autres choses qu’elle lui avait dites.

— Ah ! à propos, dit-elle en le rappelant, comme déjà il avait presque dépassé le seuil de sa cellule, votre intention, sans doute, est de voir Laurent Goussard, un de vos chauds partisans parmi les électeurs ; ce sera une visite de charité. Le pauvre homme est tout perclus ; il s’en va aussi, et je sais qu’il a quelque chose à vous dire.

Même sans cette recommandation, Sallenauve n’eût pas manqué de visiter un de ses électeurs les plus dévoués. Il trouva le meunier affligé d’un violent accès de goutte, et, aidant aux prescriptions de la médecine par de terribles jurons que de temps à autre lui arrachait la douleur. L’atmosphère du moulin ne ressemblait guère à celle de la cellule.

Après avoir chaleureusement félicité le député de la bonne attitude qu’il avait prise à la Chambre et du talent oratoire dont il y avait fait preuve :

— Mon brave représentant, lui dit Laurent Goussard, je ne crois pas que j’aie longtemps à moudre, la machine se détraque, d’où m’est venue une idée que j’ai communiquée à la mère Marie-des-Anges, et dans laquelle elle m’a bien encouragé.

Sallenauve lui fit remarquer que rarement la goutte était une maladie mortelle.

— Excepté, reprit Laurent Goussard, quand elle remonte et qu’elle vous étouffe. Enfin, faire son testament n’a jamais tué personne, et, à soixante-douze ans passés, car nous nous suivions d’assez près, l’ami Danton et moi, on peut bien penser à mettre ordre à ses petites affaires. Je veux donc faire mon testament.