Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/72

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

votre mère, qu’ensuite on envoya jouer. Le soir même, Françoise Goussard était allée rejoindre Danton, et elle passa pour morte d’un coup d’apoplexie.

— Mais cette mort, monsieur, dit Sallenauve, est belle comme l’antique, et si vous n’avez pas de plus mauvais souvenir à faire peser sur ma famille !

— Veuillez prendre patience. Votre mère, Catherine Goussard, fut renvoyée par Jacqueline Collin, à votre grand-oncle Laurent Goussard ; et au couvent des Ursulines, que gouvernait cette mère Marie-des-Anges qui vous a tant aidée dans votre élection, elle reçut une très bonne éducation. Arrivée à l’âge de seize ans, Catherine Goussard était devenue une belle et accorte jeune fille, qui, dans Arcis, tourna bien des têtes. Parmi ses adorateurs, deux surtout furent persévérants ; — d’une part, Jacques Bricheteau, neveu de la mère Marie-des-Anges ; après avoir fait son éducation à la maîtrise de Troyes, il était devenu organiste et maître de musique à Arcis, et donnait des leçons de chant à votre mère ; — d’autre part, le comte de Gondreville qui, ne se voyant aucun autre moyen de réussir dans sa poursuite, finit par se déterminer à l’emploi d’un moyen violent et désespéré.

— Il la fit enlever ? demanda vivement Sallenauve.

— Enlever n’est pas le mot, répondit Rastignac, il la fit détourner. Jacqueline Collin à bien d’autres industries avait joint celle de courtière en affaires de cœur. Opérant dans un monde assez élevé, elle était quelquefois venue en aide aux appétits libertins de Gondreville. Confidente de la passion que ce soupirant déjà sur le retour nourrissait pour Catherine, cette femme, qui s’est fait une renommée sans pareille dans cet affreux métier, se chargea d’attirer à Paris la pauvre enfant. Elle eut l’air de passer à Arcis, alla voir Laurent Goussard, et, exploitant adroitement les souvenirs de l’amitié qui l’avait unie à Françoise, s’insinua si bien dans l’esprit de l’honnête meunier, que, sur les instances de la jeune fille, préalablement étourdie et enivrée de l’idée d’aller à Paris, votre malheureuse mère lui fut confiée pour être placée dans le commerce, où Jacqueline Collin était censée avoir les plus belles relations.

— C’était sa perte ! s’écria Sallenauve joignant les mains avec émotion.