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Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/74

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gnac, pour que vous éprouviez le besoin de me voir à cette heure en emportant d’assaut mon cabinet ?

— Il y a, Eugène, qu’Augusta vient de me confier tous ses griefs, que vous jouez un jeu très dangereux ; que le colonel Franchessini se pose auprès de votre femme délaissée, en consolateur, et que, ce soir encore, je l’ai remarqué, il a déjà fait beaucoup de chemin.

— Ce soir ? Mais il était chez Augusta avec sa femme.

— Une de ses habiletés justement d’avoir toujours avec lui, pour faire sa cour, cette espèce de quakeresse qui n’y voit que du feu.

— Vous comprenez, Delphine, répondit Rastignac, que ce n’est pas le moment de traiter à fond une question si grave. Je suis, avec monsieur de Sallenauve, occupé d’une affaire qui ne peut se remettre. Demain, dans l’après-midi, je passerai chez vous.

— Ce sera heureux ; il y a bien deux mois que vous n’y avez mis les pieds, et, pour vous voir ici, il faut que je passe sur le ventre de vos huissiers.

Rastignac offrit alors son bras à sa belle-mère, qu’il accompagna jusqu’à sa voiture ; ensuite, après avoir fait ses excuses à Sallenauve de l’incident :

— Je vous disais donc, reprit-il, que Jacques Bricheteau s’était empressé d’aller rejoindre à Paris Catherine Goussard, et ayant facilement découvert la demeure de la femme Collin, plusieurs fois il fut reçu par sa jeune compatriote. Mais, quoique jeune lui-même en ce temps-là, Bricheteau n’avait rien de ce qui fait réussir auprès des femmes : il n’était pas beau et parlait toujours raison. Ainsi il essayait de persuader à celle qu’il aimait que le séjour de Paris, et surtout le séjour de la maison de Jacqueline, était pour elle plein de dangers. Catherine Goussard ne pouvait faire autrement que d’avoir pour lui de l’estime, mais elle ne l’aimait point, et jamais on n’est convaincu que par ce qu’on aime ; la jeune fille ne tint donc aucun compte de ses remontrances et de ses appréhensions. À la fin même, elle accueillit le prêcheur assez froidement pour lui faire comprendre que ses visites étaient peu agréables, et d’ailleurs Jacqueline Collin le fit consigner à la porte. Pendant ce temps, le comte de Gondreville, sans voir ses soins accueillis avec un grand em-