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Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/76

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— C’était en effet, pour qu’elle n’y parût pas comme témoin que sa naïveté aurait pu rendre dangereux, que l’enlèvement de Catherine fut pratiqué. Dépaysée et conduite dans un village de la banlieue, elle y fut tenue en une sorte de séquestration ; mais elle prit facilement cette réclusion en patience, étant assez souvent visitée par l’homme qui l’avait menée là, en lui faisant accroire que mademoiselle Collin, partie brusquement pour un voyage d’affaires, lui avait donné le soin de la remplacer auprès de sa protégée.

— Le moyen, dit Sallenauve, qu’une fille de seize ans pût se démêler à travers tous ces pièges !

— Au bout de six mois, ramenée à Paris et logée dans un quartier lointain, Catherine Goussard se trouva installée dans un petit logement coquettement meublé, et là le monde entier ne fut bientôt plus rien pour elle. Quoique ne voyant pas aussi souvent qu’elle l’eût désiré son protecteur qui, sous prétexte d’occupations immenses, ne paraissait chez elle qu’à de longs intervalles, elle se prêtait sans murmure à toutes les nécessités de cette existence occulte. Le nom, l’âge, l’état, la fortune de celui qu’elle recevait, elle avait consenti à tout ignorer et savait seulement qu’il s’appelait M. Jules. « Puisqu’il le veut ainsi ! se disait-elle souvent à elle-même, en s’occupant à quelqu’ouvrage de femme, dans l’intervalle des seuls jours qui comptassent dans sa vie ; et devant cette grande raison de volonté de l’homme qui était devenu sa pensée unique, la recluse n’avait plus une plainte ; tout lui semblait arrangé comme il faut. »

— Mais, monsieur le ministre, dit Sallenauve avec une sorte de fierté, par cette admirable abnégation, l’amour de la fille n’est pas loin d’égaler en beauté la mort de la mère.

— Aussi, monsieur, répondit Rastignac, ne m’en voyez-vous parler qu’avec respect et discrétion ; malheureusement, à cette liaison secrète, un terrible réveil était réservé. Vers le mois de juillet 1808, l’absence du protecteur s’étant prolongée beaucoup plus que de coutume, un jour, au lieu de celui qu’elle attendait, Catherine vit arriver chez elle Jacqueline Collin. Cette femme, qui venait d’achever les deux ans de prison auxquels elle avait été