Page:Balzac Histoire des oeuvres 1879.djvu/101

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pleurs ridicules, ces lignes disgracieuses offertes avec ingénuité, auxquelles toute une ville s’est habituée et qui étonnent les Parisiens. Ces difformités orgueilleuses, ces vices de toilette existent dans l’esprit.

À quelque sphère qu’elle appartienne, la femme de province montre de petites idées. C’est elle qui, à Paris, trouve de bon goût d’enlever à sa meilleure amie l’affection de son mari.

Les femmes de province ne savent pas se venger avec grâce, elles se vengent mal ; elles n’ont pas dans le discours ni dans la pensée l’atticisme moderne, ce parisiénisme (ce mot nous manque) qui consiste à tout effleurer, à être profond sans en avoir l’air, à blesser mortellement sans paraître avoir touché, à dire ce que j’ai entendu souvent : « Qu’avez-vous, ma chère ? » quand le poignard est enfoncé jusqu’à la garde.

Les femmes de province vous font souffrir et vous manquent ; elles tombent lourdement quand elles tombent ; elles sont moins femmes que les Parisiennes. Mais, ce qui dans tout pays est impardonnable, elles sont ennuyeuses, elles ont le bonheur aussi ennuyeux que le malheur, elles outrent tout. On en voit qui mettent quelquefois un talent infini à éviter la grâce.

La femme de province n’a que deux manières d’être : ou elle se résigne, ou elle se révolte.

Sa révolte consiste à quitter la province et s’établir à Paris. Elle s’y établit légitimement par un mariage et tâche de devenir Parisienne ; elle y triomphe rarement de ses habitudes.

Celle qui s’y établit en abandonnant tout ne compte plus parmi les femmes.

Il est une troisième révolte qui consiste à dominer sa ville et à insulter Paris ; la femme assez forte pour jouer ce rôle est toujours une Parisienne manquée. Aussi la vraie femme de province est-elle toujours résignée.

Voici les choses curieuses, tristes ou bouffonnes qui résultent de la femme combinée avec la vie de province.

Un Parisien passe par la ville, un de ses amis lui vante la belle madame une telle, il le présente à ce phénix, et le Parisien aperçoit une laideron parfaitement conditionnée.

Il arrive alors des aventures comme celle-ci.

Un jeune homme a quelques jours d’exil à passer dans une petite ville de province, il y retrouve l’éternel ami de collége, cet ami de collége le présente à la femme la plus comme il faut de la ville, une femme éminemment spirituelle, une âme aimante et une belle femme. Le Parisien voit un grand corps sec étendu sur un prétendu divan, qui minaude, qui n’a pas les yeux ensemble, qui a passé quarante ans, couperosé, des dents suspectes, les cheveux teints, habillé prétentieusement, et le langage en harmonie avec le vêtement. Le Parisien fait contre bonne fortune mauvais cœur, et se garde bien de revenir à ce squelette ambitieux.

Le Parisien moqueur félicite son ami de son bonheur, il le mystifie en prenant cet air convaincu que prennent les Parisiens pour se moquer.

La veille de son départ, le Parisien, questionné par son ami sur l’opinion qu’il emporte de la petite ville, répond quelque chose comme :