Page:Balzac Histoire des oeuvres 1879.djvu/102

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— Je me suis royalement ennuyé, mais j’ai toujours eu la plus belle femme de la ville !

Le lendemain matin, l’ami le réveille ; armé d’une paire de pistolets, il vient lui proposer de se brûler la cervelle, en lui posant ce théorème :

— Si vous avez eu la plus belle femme de la ville, ce ne peut être que ma maîtresse ; allons nous battre, vous n’êtes qu’un infâme !

On vous présente à la femme la plus spirituelle, et vous trouvez une créature qui tourne dans le même genre d’esprit depuis vingt ans, qui vous lance des lieux communs accompagnés de sourires désagréables, et vous découvrez que la femme la plus spirituelle de la ville en est simplement la plus bavarde.

Deux femmes également supérieures et toutes deux en province, où l’auteur de ces observations a eu la douleur de les trouver, expliquent admirablement le sort des femmes de province.

La première avait su résister à cette vie tiède et relâchante qui dissout la plus forte volonté, détrempe le caractère, abolit toute ambition, qui enfin éteint le sens du beau.

Elle passait pour une femme originale ; elle était haïe, calomniée ; elle n’allait nulle part, on ne voulait plus la recevoir, elle était l’ennemi public.

Voici ses crimes :

Pour entretenir son intelligence au niveau du mouvement parisien, elle lisait tous les ouvrages qui paraissaient et les journaux ; et, pour ne jamais se laisser gagner par l’incurie et par le mauvais goût, elle avait une amie intime à Paris qui la mettait au fait des modes et des petites révolutions du luxe. Elle demeurait donc toujours élégante, et son intérieur était un intérieur presque parisien. Hommes et femmes, en venant chez elle, s’y trouvaient constamment blessés de cette constante nouveauté, de ce bon goût persistant.

Une haine profonde s’émut, causée par ces choses. Mais la conversation et l’esprit de cette femme engendrèrent une bien plus cruelle aversion. Cette femme se refusait au clabaudage de petites nouvelles, à cette médisance de bas étage qui fait le fond de la vie en province ; elle remuait des pensées au lieu de remuer des mots.

Elle fut atteinte et convaincue de pédantisme, chacun finit par se moquer effrontément de ses nobles et grandes qualités, d’une supériorité qui blessait toutes les prétentions, qui relevait les ignorances et ne leur pardonnait pas. Quand tout le monde est bossu, la belle taille devient la monstruosité. Cette femme fut donc regardée comme monstrueuse et dangereuse, et le désert se fit autour d’elle. Pas une de ses démarches, même la plus indifférente, ne passait sans être critiquée, dénaturée. Il résultait de ceci qu’elle était impie, immorale, dévergondée, dangereuse, d’une conduite légère et répréhensible.

— Madame une telle, oh ! elle est folle.

Tel fut l’arrêt suprême porté par toute la province.

La seconde avait deviné l’ostracisme que sa résistance lui vaudrait, elle était restée grande en elle-même, elle livrait son intérieur seulement à ces minuties.

Ce fut à elle que je demandai le secret de l’amour en province ; je ne voyais pas