Page:Balzac Histoire des oeuvres 1879.djvu/214

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ingénieux est à lui seul toute une biographie : Histoire de la grandeur et de la décadence de César Birotteau, marchand parfumeur, chevalier de la Légion d’honneur et adjoint au maire du deuxième arrondissement de la ville de Paris ; le développement du décourageant axiome formulé par la Peau de chagrin marche à travers le monde en y versant des lumières sur toutes les catastrophes. César Birotteau, type parfait du négociant probe, du négociant pour qui la considération est une autre atmosphère indispensable, est tué soudainement par l’idée probité comme par un coup de pistolet ; il a soutenu le malheur goutte à goutte, il ne soutient pas la joie et la vie qui tombent sur lui comme une trombe et le brisent. Cette étude est un chapitre de plus ajouté à l’histoire d’une famille que les pinceaux de M. de Balzac ont surtout affectionnée. Le pauvre vicaire de Saint-Gatien, qui joue un rôle dans les Études de mœurs, est représenté ici dans la personne de son frère ; mais François Birotteau est une individualité, tandis que César Birotteau sera regardé comme le type de cette classe nombreuse à laquelle appartiennent plusieurs personnages semés dans l’œuvre de l’auteur, figures modestes dont la grandeur vient de la manière dont elles se détachent sur le fond commun des souffrances humaines, qu’elles semblent réveiller toutes avec les leurs. Telles sont la Fosseuse et Gondrin, dans le Médecin de campagne ; la grande Nanon, madame Grandet et sa fille, dans Eugénie Grandet ; l’Enfant maudit, Juana de Mancini, le Comte Chabert, le père Goriot, Pauline de Villenoix, Louis Lambert et plusieurs autres. En effet, nul auteur n’a su mieux assigner sa part à chacune des sphères sociales. S’il transfigure le monde des millionnaires, il semble affectionner, il caresse le monde où l’on souffre ; partout dans son œuvre les gens dépouillés comparaissent auprès des spoliateurs. Un jour cette justice lui sera rendue. Si Walter Scott plaide pour les habits brodés, M. de Balzac a réveillé nos sympathies pour les infortunes courageuses, pour les chagrins domestiques. Son style n’est mordant, sa raillerie n’est incisive que pour les riches ; pour les pauvres et les souffrants, sa palette n’a que de douces couleurs. Vient ensuite Maître Cornélius, cette forte étude historique, où l’on retrouve si nettement dessinés les traits les plus curieux de cette grande figure de Louis XI, toujours incomplètement reproduite dans les tableaux des romanciers ou dramaturges ; et là, voyez quelle inévitable logique ! c’est l’idée avarice tuant l’avare dans la personne du vieil argentier. Le Chef-d’œuvre inconnu nous montre l’art tuant l’œuvre ; première initiation à la tragédie de Louis Lambert. Dans l’Auberge rouge, cette sanglante histoire d’un parvenu, la plus terrible peut-être qu’ait imaginée M. de Balzac, se trouve une analogie magnifiquement exécutée entre l’idée d’un crime et le crime même. Là, selon nous, à part les détails de cette composition, se rencontrent les plus sévères déductions du thème général. Un être débile tué par la terreur est le résultat de l’histoire intitulée l’Enfant maudit, délicieuse histoire désormais complétée par un nouveau volume que chacun pressentait. La chaude et savante étude des Proscrits contient plusieurs propositions identiques : le suicide d’un enfant que l’ambition du ciel dégoûte de la vie, le génie devenant funeste à un grand poète, et l’idée de patrie faisant crier à ce poète : « Mort aux Guelfes ! » au moment où il vient de peindre les supplices infernaux destinés aux assassins. Jésus-Christ en Flandre est