Page:Balzac Histoire des oeuvres 1879.djvu/215

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la démonstration de la puissance de la foi, considérée aussi comme idée. Ici, la conclusion habituelle de M. de Balzac eût pu être facilement appliquée, car à combien de martyrs cette idée n’a-t-elle pas été funeste ? mais il a mieux aimé se reposer un instant de son affligeant système et faire luire un rayon du ciel à travers les masses de ténèbres dont il nous montre environnés. Dans ce conte, suivant l’expression du critique déjà cité, « les parias de la société, ceux qu’elle bannit de ses universités et de ses colléges, restent fidèles à leurs croyances, et conservent, avec leur pureté morale, la force de cette foi qui les sauve, tandis que les gens supérieurs, fiers de leur haute capacité, voient s’accroître leurs maux avec leur orgueil, et leurs douleurs avec leurs lumières ». Le rêve fantastique intitulé l’Église est une saisissante vision des idées religieuses se dévorant elles-mêmes, et croulant tour à tour les unes sur les autres, ruinées par l’incrédulité, qui est aussi une idée. Louis Lambert est la plus pénétrante et la plus admirable démonstration de l’axiome fondamental des Études philosophiques. N’est-ce pas la pensée tuant le penseur ? fait cruellement vrai que M. de Balzac a suivi pas à pas dans le cerveau, et dont Manfred est la poésie, comme Faust en est le drame.

L’ordre adopté par l’éditeur pour la publication successive des Études philosophiques nous oblige à garder le silence sur l’Ecce Homo, terrible contre-partie de Louis Lambert. Il faut aussi que nous nous taisions sur ces titres qui annoncent de beaux livres, les puînés de Louis Lambert, sans doute : Sœur Marie-des-Anges, — Le Livre des douleurs, — Melmoth réconcilié, — Aventures d’une idée heureuse ; sur Séraphita même, quoique la Revue de Paris en ait publié le commencement. Même silence sur le Prophète, sur le Président Fritot, sur le Philanthrope et le Chrétien. Mais ce que nous pouvons prévoir, c’est que l’auteur n’oubliera aucun sentiment humain, aucune idée, que toute l’âme de l’homme va passer dans son redoutable creuset, comme toute la société a passé sous ses pinceaux. La Comédie du diable, si bouffonne en apparence, est devenue, dans cette édition, une âpre critique des gouvernements, une sorte de tohu-bohu des politiques, une sarcastique transition pour arriver à la conclusion de l’œuvre, à cette Histoire de la succession du marquis de Carabas, qui sera la formule allégorique de la vie collective des nations, comme la Peau de chagrin est la formule de la vie. « C’est non-seulement, dit M. Ph. Ch. (Philarète Chasles), à qui nous emprunterons ce dernier aperçu (car à lui aussi ont été faites quelques confidences sur cet ouvrage), c’est non-seulement la société dans ses masses que frappe de mort l’égoïsme, fils de l’analyse et de cette raison approfondissante qui nous ramène sans cesse à notre personnalité ; c’est aussi la société dans ses éléments partiels, c’est encore le gouvernement et la politique. De degrés en degrés, l’auteur s’élèvera jusqu’à cette dernière ironie, la plus haute et la plus en harmonie avec notre temps. Dans l’Histoire de la succession du marquis de Carabas, dernière œuvre qui complétera la grande vue philosophique de M. de Balzac, nous verrons la société politique en proie à la même impuissance, au même néant qui dévore Raphaël dans la Peau de chagrin ; même intensité de désir, même éclat extérieur, même misère réelle, même formule inévitable, éternelle, où la Nationalité se trouvera pressée comme l’Individualisme l’est dans la sienne. »