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VI.
CHARGES.
I. — M. Mahieux en société

C’était un salon éclairé par des bougies, comme tous les salons du monde qui ne le sont point au moyen de quinquets ou de gaz hydrogène, et meublé, comme tous les salons, par des figures vieilles ou jeunes, mâles ou femelles, insignifiantes ou animées, nulles ou importantes. Déjà on avait devisé sur bien des choses, et l’on allait deviser sur beaucoup d’autres encore, quand, les portes ouvertes avec fracas, un valet se présenta, annonçant à haute voix :

M. Mahieux !

— Hi ! ho ! hé ! hou ! ah ! ah ! ah !

Tel fut le bourdonnement général qui remplaça aussitôt les conversations particulières, par manière d’étonnement et de curiosité ; et deux dames parurent ensemble qui, en se déployant, laissèrent voir entre elles un petit homme in-trente-deux, contrefait, et l’air triomphant au possible. C’était M. Mahieux.

— Dieu de Dieu ! mon cher, fait-il chaud dans votre salon, bon Dieu ! dit-il d’un son de voix tout à fait étrange, en s’avançant vers le maître de la maison. — Eh bien, comment vont les affaires, les plaisirs, les amours ?

— Bien sensible, monsieur Mahieux… Et vous ? Vous voilà donc de retour de votre pays ? Avez-vous été satisfait de vos compatriotes ?

— Ah ! oui, mes compatriotes ! de fameux farceurs, allez ! Je me présente aux élections pour être nommé député ! car, bon Dieu ! il est une classe nombreuse qui n’est pas représentée à la Chambre ! C’est un fait constant, que l’infirmité n’y a pas d’organe ! Et puis, pas du tout, ils vont choisir un colosse, un homme de cinq pieds quatre pouces. Je vous demande si un gaillard comme ça donnera dans la bosse : le plus souvent ! — Il est vrai de dire qu’il y avait un grand motif contre ma nomination : c’est que la tribune est plus haute que moi de trois pouces, et qu’alors il fallait, ou que la France fit faire une autre tribune, ou qu’elle se résignât à ne pas me voir parler, comme les souffleurs. — Ah çà ! mais, mon cher, nous ne sommes pas ici dans mon endroit ; amusons-nous donc un peu, bon Dieu ! Je vois par-ci, par-là des femmes charmantes ; est-ce qu’on ne pourrait pas en faire un tas, de femmes charmantes, pour jouer avec ? aux jeux innocents, par exemple, c’est gentil.

M. Mahieux aime les jeux innocents ? demanda, d’un air bien pincé, une dame assise en tapisserie.

— Oui, grosse mère, je les adore.

Alors les jeunes filles accourent, les jeunes gens se placent, et on n’attend plus que M. Mahieux pour commencer, quand on l’entend, dans une salle voisine, jeter des cris et proférer des jurons épouvantables. On se précipite, on s’informe,