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et on trouve M. Mahieux mordant furieusement un grand jeune homme blond. On les accable tous deux de questions ; mais, comme l’un est Anglais, et que l’autre ne discontinue pas de blasphémer, on ne peut rien savoir, si ce n’est à peu près que M. Mahieux, prenant pour une patère le nez du gentleman, un peu long il est vrai, avait voulu accrocher son chapeau après ; que l’Anglais avait défendu son nez, M. Mahieux son chapeau, et qu’il en était résulté un instant de trouble, entièrement apaisé au moyen d’une compresse appliquée sur le genou britannique.

— Allons ! s’écrie M. Mahieux, à présent que l’Anglais a fini de faire le méchant, amusons-nous, belle jeunesse !

(Ici arrivent des verres d’eau sucrée, apportés par une femme de chambre.)

M. Mahieux, à son voisin. — Dieu de Dieu ! voyez donc la belle personne ! Quand on a une taille si intéressante, peut-on porter des verres d’eau sucrée, bon Dieu ! — Petite ! Un rafraîchissement par ici. (M. Mahieux boit un verre d’orgeat.) — Merci, femme superbe ! (Il en boit un second.) — Encore un, bobonne, charmeresse ! (Il en boit un troisième.) — Ah ! séduisante Ganymède, va !

Trop occupé de ce qu’il dit pour regarder ce qu’il fait, M. Mahieux, voulant placer son verre, culbute le plateau, et, avec lui, quinze différentes sortes de liquides qui, avant d’arriver à terre, inondent tous les intéressants individus réunis pour faire joujou avec l’innocence. Cris, tumultes, verres brisés, robes perdues, habits tachés, rien ne manque à la catastrophe causée par M. Mahieux.

Pour lui, effrayé des suites d’une pareille maladresse, il crie plus fort que tout le monde, en accuse le pauvre Anglais, lequel, se chauffant tranquillement les pieds, répond toujours Yes ! aux impertinentes interpellations du bossu.

— Dieu de Dieu ! a-t-on vu traverser le détroit pour faire des malheurs pareils ! Je suis sûr, bon Dieu ! que ce goddem-là est payé par son sournois de gouvernement pour casser les verres en France.

— Allons, monsieur Mahieux, calmez-vous, je vous en prie. Pour quelques robes et quelques verres…

— Oh ! homme généreux ! vous êtes bon là, avec vos robes et vos verres ! Ça m’est bien égal, à moi ; c’est le liquide que je regrette : j’ai une soif terrible, moi, d’abord…

Et, là dessus, M. Mahieux va dans la salle à manger, d’où il revient, après cinq quarts d’heure, avec le nez légèrement égratigné.

L’Anglais. — Goddem ! meusieur le baussu, you avoir pris mon carrick que you salissez biaucoup en le traînant par terre.

M. Mahieux, s’apercevant de sa méprise. — Ah ! c’est que, voyez-vous, l’Anglais, je l’ai pris un instant pour me réchauffer, car j’ai les pieds gelés… Mais soyez tranquille, bon Dieu ! on ne vous le mangera pas, votre carrick.

Yes !

Tout le reste de la soirée, M. Mahieux fut d’une amabilité délicieuse, charmant par sa gaieté tous ceux qu’elle ne scandalisait pas, faisant rire aux éclats toutes les jeunes personnes qu’il ne faisait point crier en les pinçant, et ne s’occupant absolument que de la société, si ce n’est quand on apportait des rafraî-