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un élégant l’avait cavalièrement accostée ; mais tout aussitôt un grand gaillard, brutal et cordonnier, était tombé sur le couple à triples coups de tire-pied, et, depuis cinq minutes, les deux champions se rossaient avec une égalité de grâces musculaires qui intéressait trop vivement la foule pour qu’elle les séparât.

La jeune fille, c’était Chonchon ; le jeune fashionable, c’était un ami auquel j’avais confié l’aveu de ma témérité. Je le remerciai beaucoup d’en avoir accepté les conséquences chanceuses, et je m’en allai prendre un riz au lait.

19 mai 1831.
XXI.
LE MEILLEUR RÉPUBLICAIN.

Gloire et envie à M. Bonnichon ! Vive M. Bonnichon ! marchand bonnetier, milicien volontaire, citoyen de la terre promise, consommateur de la manne divine !

Il n’a pour toute influence qu’une figure honnête, un fourniment complet et des bonnets de coton vulgaires. Vous me direz que c’est peu de chose pour une sommité politique ou une gloire quelconque. C’est vrai. Mais le destin a tout fait pour M. Bonnichon.

D’abord, il pouvait naître sur l’horizon glacé, où le knout réchauffe l’homme ; sous le ciel brûlant d’Italie, où un parasol ou un échafaud servent de rafraîchissement. Point. Il est né Butte-des-Moulins, à Paris : il est Français. Dès lors, le voilà, pour sa part, héritier du luxe de Louis dit le Grand ; de la gloire de Napoléon, qui s’est fait grand ; des expériences mal comprises de feu M. de Robespierre.

Il a à choisir parmi vingt religions : il se fait républicain. C’est son goût. Mais il vit sous une monarchie. C’est désagréable.

Un jour, le roi de M. Bonnichon divague, le trône fléchit : son roi s’en va, le trône s’écroule, et M. Bonnichon pousse un soupir politique. On parle de république : il se rappelle celle d’Athènes, celle de Rome, celle de New-York ; et, appliquant ses lumières en cotonnades à une organisation sociale, il s’en va partout colportant, pesant, balançant, élogiant les avantages athéniens, romains, américains.

Ici, la fortune de M. Bonnichon le sert encore malgré lui. Il est Français. Le Français né malin créa le vaudeville. On lui crée une république exprès à sa taille. On lui en donne une supérieure à toutes les autres, car elle ne ressemble à aucune. Le lendemain, il peut mettre sur ses cartes de visite : Bonnichon, bonnetier, citoyen de la meilleure des républiques.

Jeudi dernier, il est réveillé un peu tôt par un bruit de lui fort connu. C’est le rappel. Harmonie commerciale qui avertit les industriels qu’on les dispense ce jour-là de régler leurs affaires.

— Allons, bobonne, dépêche-toi ! s’écrie M. Bonnichon secouant magnani-