Page:Balzac Histoire des oeuvres 1879.djvu/308

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Après cette idée consolante, il en vint une autre au fonctionnaire public, une autre qui lui dressa les cheveux sur la tête et lui blêmit la face, au point que l’adjoint en fut épouvanté.

La lettre était percée de part en part, tailladée, passée au vinaigre.

— À coup sûr, le choléra-morbus est à Paris. Et cette phrase : Prenez vos précautions ! Plus de doute…

On assemble le conseil municipal.

On décrète ce qui suit :

1o Un exprès va être envoyé à Paris pour supplier monseigneur le prince de Joinville d’ajourner son voyage ;

2o Un cordon sanitaire va être formé autour de la ville ;

3o Un lazaret va être établi hors la ville ;

4o Y seront mises tout de suite les personnes atteintes ou soupçonnées ;

5o Le traitement de toutes maladies, ainsi que tout accouchement quelconque, seront ajournés, pour ne pas distraire, des soins importants que demande l’approche du choléra, le médecin et la sage-femme de la ville ;

6o On fera des prières publiques ;

7o Par autorité de police, on s’interdira jusqu’à nouvel ordre, pour ne pas exciter la colère du Ciel, les jurons, le vol, le sacrilége, le rapt, l’ivrognerie, le viol, l’assassinat et les calembours et quolibets contre le pouvoir ;

8o On brûlera des herbes aromatiques dans les rues.

Trois gardes nationaux de bonne volonté firent le cordon sanitaire et entourèrent la ville à une distance les uns des autres, qui parut un peu grande à quelques-uns, lesquels, néanmoins, ne jugèrent pas à propos de remplir les lacunes.

Et la consternation se répandit dans la ville. Les athées crurent, les impies se convertirent, les prêtres firent l’aumône.

La chose dura deux jours, au bout desquels vint l’ami du maire. On voulut le mettre au lazaret. Il força la ligne On se sauva dans les rues. On sonna le tocsin. On s’enferma à double tour. On voulut lui tirer des coups de fusil. Il venait de Paris, et probablement il était infecté.

Il alla frapper chez le maire. Le maire pâlit, sa femme et sa fille crièrent, la servante hurla, le chien jappa. Il continua à frapper. Le maire ouvrit la fenêtre du grenier, et, après l’avoir prié de prendre le dessous du vent, pour ne pas lui envoyer d’exhalaisons pestilentielles, il lui expliqua ce qui se passait. L’ami demanda sa lettre. On la lui jeta par la fenêtre. Le vent l’emporta, et l’ami courut après pendant une heure, répandant la terreur dans toutes les rues par lesquelles il passait. Puis il revint, riant et se tordant. On s’expliqua, et le cordon sanitaire alla se coucher.

20 octobre 1831.