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développait dans nos causeries intimes avec une chaleur et une richesse d’élocution dont ce que je lisais me semblait être l’écho lointain et affaibli.

J’en citerai un exemple entre mille. Balzac alors s’était épris du magnétisme avec ce fol enthousiasme qu’il apportait à toutes choses nouvelles. Son zèle était ardent, sa foi entière, son assurance imperturbable. Il suivait les exercices des magnétiseurs, étudiait leurs poses et dévorait leurs livres. « Oui, me disait-il, j’approche du but. Encore quelques efforts et je l’atteindrai. Le magnétisme n’est que l’ascendant irrésistible de l’esprit sur la matière, d’une volonté forte et immuable sur une âme ouverte à toutes les impressions. Avant peu, je posséderai les secrets de cette puissance mystérieuse. Je contraindrai tous les hommes à m’obéir, toutes les femmes à m’aimer. Voyez, continuait-il en s’échauffant de plus en plus, cette jolie personne qui bâille près d’une table d’écarté… Eh bien, par la seule fascination de mon regard, je la forcerai de traverser ce salon et de venir se jeter dans mes bras. »

Je ne pus retenir un éclat de rire ; car Balzac avait dès lors une spécialité de laideur très-remarquable, malgré ses petits yeux étincelants d’esprit. Une taille grosse et courte, d’épais cheveux noirs en désordre, une figure osseuse, une grande bouche, des dents déjà ébréchées, voilà son portrait à vingt ans, autant que ma mémoire me le rappelle, et sa mise ne s’éloignait pas moins que sa figure de l’homme à bonnes fortunes.

Il s’est peint assez fidèlement lui-même dans plusieurs de ses romans. Les premiers et les meilleurs, la Peau de chagrin, le Père Goriot, le Lys dans la Vallée, font paraître au premier plan un jeune homme débutant dans la vie, plutôt gauche que timide, le cœur plein de désirs ardents qui s’attaquent à la première femme venue, et viennent se heurter contre les mille obstacles matériels que les convenances sociales opposent aux amours novices. Ce personnage si naïvement tracé, c’est Balzac tel que je l’ai connu, et je ne doute pas que la plupart des maladresses, des petites humiliations de salon qu’il attribue à ses amours ne fussent pour lui des souvenirs.

Pour en revenir à ses idées sur le magnétisme, elles étaient sincères comme toutes les illusions qu’il s’était forgées à toutes les époques de sa vie ; sans doute il s’en est désabusé depuis ; mais il en a fait un roman dont j’ai oublié le titre et dont le sujet est une jeune femme dominée par l’ascendant d’un magnétiseur. Lorsqu’il avait adopté une idée, il était tellement convaincu, qu’il ne comprenait pas qu’on pût se refuser à partager sa persuasion. M. Baschet ne croit pas à l’anecdote des ananas, avec lesquels Balzac espérait devenir subitement millionnaire ; je ne sais si elle est vraie ; mais dans son caractère elle est au moins très-vraisemblable, et pas plus extraordinaire que celle des mines d’argent de la Sardaigne, qu’il voulait renouveler des Romains. Il y a beaucoup de lui dans sa dernière création, Mercadet le Faiseur. Comme Montaigne, comme Molière, comme tous les véritables révélateurs du cœur humain, Balzac a sans cesse reproduit sa personnalité dans ses œuvres.

Quoi qu’il en soit, dans nos entretiens, je ne ménageais aucune de ses illusions, et il me trouvait aussi imperturbable qu’il était lui-même enthousiaste.