Page:Balzac Histoire des oeuvres 1879.djvu/57

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chis, des images acceptées comme des réalités. À vingt ans, les sentiments se produisent généreux ; à trente ans, déjà tout commence à se chiffrer, l’homme devient égoïste. Un esprit de second ordre se serait contenté d’accomplir cette tâche ; l’auteur, amoureux de difficultés à vaincre, a voulu lui donner un cadre ; il a choisi le plus simple en apparence, le plus négligé de tous jusqu’à ce jour, mais le plus harmonieux, le plus riche en demi-teintes, la vie de province. Là, dans des tableaux dont la bordure est étroite, mais dont la toile présente des sujets qui touchent aux intérêts généraux de la société, l’auteur s’est attaché à nous montrer sous ses mille faces la grande transition par laquelle les hommes passent de l’émotion sans arrière-pensée aux idées les plus politiques. La vie devient sérieuse ; les intérêts positifs contrecarrent à tout moment les passions violentes aussi bien que les espérances les plus naïves. Les désillusionnements commencent : ici, se révèlent les frottements du mécanisme social ; là, le choc journalier des intérêts moraux ou pécuniaires fait jaillir le drame, et parfois le crime, au sein de la famille en apparence la plus calme. L’auteur dévoile les tracasseries mesquines dont la périodicité concentre un intérêt poignant sur le moindre détail d’existence. Il nous initie au secret de ces petites rivalités, de ces jalousies de voisinage, de ces tracasseries de ménage dont la force, s’accroissant chaque jour, dégrade en peu de temps les hommes, et affaiblit les plus rudes volontés. La grâce des rêves s’envole, chacun voit juste, et prise dans la vie le bonheur des matérialités, là où, dans les Scènes de la Vie privée, il s’abandonnait au platonisme. La femme raisonne au lieu de sentir ; elle calcule sa chute là où elle se livrait. Enfin la vie s’est rembrunie en mûrissant. Dans les Scènes de la Vie parisienne, les questions s’élargissent, l’existence y est peinte à grands traits ; elle y arrive graduellement, à l’âge qui touche à la décrépitude. Une capitale était le seul cadre possible pour ces peintures d’une époque climatérique, où les infirmités n’affligent pas moins le cœur que le corps de l’homme. Ici, les sentiments vrais sont des exceptions et sont brisés par le jeu des intérêts, écrasés entre les rouages de ce monde mécanique ; la vertu y est calomniée, l’innocence y est vendue, les passions y font place à des goûts ruineux, à des vices ; tout se subtilise, s’analyse, se vend et s’achète ; c’est un bazar où tout est coté ; les calculs s’y font au grand jour et sans pudeur, l’humanité n’a plus que deux formes, le trompeur et le trompé ; c’est à qui s’assujettira la civilisation et la pressurera pour lui seul ; la mort des grands-parents est attendue, l’honnête homme est un niais, les idées généreuses sont des moyens, la religion est jugée comme une nécessité de gouvernement, la probité devient une position ; tout s’exploite, se débite ; le ridicule est une annonce et un passe-port ; le jeune homme a cent ans, et il insulte la vieillesse. »

Aux Scènes de la Vie parisienne, finissent les peintures de la vie individuelle. Déjà, dans ces trois galeries de tableaux, chacun s’est revu jeune, homme et vieillard. La vie a fleuri, l’âme s’est épanouie, comme a dit l’auteur, sous la puissance solaire de l’amour ; puis les calculs sont venus, l’amour est devenu de la passion, la force a conduit à l’abus, enfin l’accumulation des intérêts et la continuelle satisfaction des sens, le blasement de l’âme et d’implacables nécessités en présence ont produit les extrêmes de la vie parisienne. Tout est dit sur l’homme en tant