Page:Balzac Histoire des oeuvres 1879.djvu/58

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qu’homme. Les Scènes de la Vie politique exprimeront des pensées plus vastes. Les gens mis en scène y représenteront les intérêts des masses, ils se placeront au-dessus des lois auxquelles étaient asservis les personnages des trois séries précédentes qui les combattaient avec plus ou moins de succès. Cette fois, ce ne sera plus le jeu d’un intérêt privé que l’auteur nous peindra ; mais l’effroyable mouvement de la machine sociale, et les contrastes produits par les intérêts particuliers qui se mêlent à l’intérêt général. Jusque-là, l’auteur a montré les sentiments et la pensée en opposition constante avec la société, mais dans les Scènes de la Vie politique, il montrera la pensée devant une force organisatrice, et le sentiment complètement aboli. Là donc, les situations offriront un comique et un tragique grandioses. Les personnages ont derrière eux un peuple et une monarchie en présence ; ils symbolisent en eux le passé, l’avenir ou ses transitions, et luttent non plus avec des individus, mais avec des affections personnifiées, avec les résistances du moment représentées par des hommes. Les Scènes de la vie militaire sont la conséquence des Scènes de la Vie politique. Les nations ont des intérêts, ces intérêts se formulent chez quelques hommes privilégiés, destinés à conduire les masses, et ces hommes qui stipulent pour elles, les mettent en mouvement. Les Scènes de la Vie militaire sont donc destinées à peindre dans ses principaux traits la vie des masses en marche pour se combattre. Ce ne seront plus les vues d’intérieur prises dans les villes, mais la peinture d’un pays tout entier ; ce ne seront plus les mœurs d’un individu, mais celles d’une armée ; ce ne sera plus un appartement, mais un champ de bataille ; non plus la lutte étroite d’un homme avec un homme, d’un homme avec une femme ou de deux femmes entre elles, mais le choc de la France et de l’Europe, ou le trône des Bourbons que veulent relever dans la Vendée quelques hommes généreux, ou l’émigration aux prises avec la République dans la Bretagne, deux convictions qui se permettent tout, comme autrefois les catholiques et les protestants. Enfin ce sera la nation tantôt triomphante et tantôt vaincue. Après les étourdissants tableaux de cette série, viendront les peintures pleines de calme de la Vie de campagne. On retrouvera, dans les Scènes dont elles se composeront, les hommes froissés par le monde, par les révolutions, à moitié brisés par les fatigues de la guerre, dégoûtés de la politique. Là donc le repos après le mouvement, les paysages après les intérieurs, les douces et uniformes occupations de la vie des champs après le tracas de Paris, les cicatrices après les blessures ; mais aussi les mêmes intérêts, la même lutte, quoique affaiblie par le défaut de contact, comme les passions se trouvent adoucies dans la solitude. Cette dernière partie de l’œuvre sera comme le soir après une journée bien remplie, le soir d’un jour chaud, le soir avec ses teintes solennelles, ses reflets bruns, ses nuages colorés, ses éclairs de chaleur et ses coups de tonnerre étouffés. Les idées religieuses, la vraie philanthropie, la vertu sans emphase, les résignations s’y montrent dans toute leur puissance accompagnées de leurs poésies, comme une prière avant le coucher de la famille. Partout les cheveux blancs de la vieillesse expérimentée s’y mêlent aux blondes touffes de l’enfance. Les larges oppositions de cette magnifique partie avec les précédentes, ne seront comprises que quand les Études de mœurs seront terminées.