Page:Balzac Histoire des oeuvres 1879.djvu/59

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Pour qui veut embrasser dans toutes ses conséquences le thème de chaque série, dont nous venons de dessiner les masses principales ; pour qui sait en deviner les variations, en comprendre l’importance, en voir les mille figures, sans même considérer le lien qui les fera toutes converger vers un centre lumineux, n’y a-t-il pas de quoi nier le monument et douter de l’architecte ? Aussi les doutes ne manquent-ils point. Aussi avons-nous entendu prédire le découragement de l’auteur, et lui pronostiquer des revers, des insuccès par des envieux qui les prépareraient, s’ils en avaient le pouvoir. Nous lisons chaque jour les assertions les plus erronées et sur l’homme et sur ses efforts. L’un de nos critiques les plus émouvants accuse M. de Balzac de rêver des séries fantastiques de volumes qu’il n’écrira jamais, tandis qu’un autre lui demande sérieusement où l’on ira se loger s’il continue son système de publication. Enfin, il nous a été railleusement reproché de prêter notre plume à un écrivain qui, faute de temps, ne peut ni s’expliquer lui-même, ni réfuter la critique. Notre projet est trop honorable pour que nous l’abandonnions. Ce n’est pas notre faute si les mœurs littéraires de cette époque sont telles, qu’il y ait du courage à plaider une cause gagnée, sans avoir d’autre peine que celle de dire la vérité. Des six portions de la première partie d’une œuvre, qu’on peut à bon droit nommer gigantesque, trois sont achevées déjà. Quant aux trois autres, nous pouvons, sans nuire à aucun intérêt, montrer combien elles sont avancées. Les Conversations entre onze heures et minuit, dont un fragment a paru dans les Contes bruns, et qui ouvrent les Scènes de la Vie politique, sont achevées. Les Chouans, dont la seconde édition est presque épuisée, appartiennent, aussi bien que les Vendéens, aux Scènes de la Vie militaire. Le titre de ces deux fragments indique assez qu’avant de montrer nos armées combattant au xixe siècle sous presque toutes les latitudes, l’auteur y a peint la guerre civile sous ses deux faces : la guerre civile, régulière, honorable dans les Vendéens ; et, dans les Chouans, la guerre de partisans qui ne va pas sans crimes politiques ni sans pillage. La Bataille, annoncée déjà plusieurs fois, et dont la publication a été retardée par des scrupules pleins de modestie, ce livre connu de quelques amis, forme un des plus grands tableaux de cette série où abondent tant d’héroïques figures, tant d’incidents dramatiques consacrés par l’histoire, et que le romancier n’aurait jamais inventés aussi beaux qu’ils le sont. Les sympathies du public ont déjà, malgré les journaux, rendu justice au Médecin de campagne, la première des Scènes de la Vie de campagne. Le Lys dans la vallée, tableau où se retrouvent, à un degré peut-être supérieur, les qualités du Médecin de campagne, et qui dépend également de cette série, va se publier dans l’une de nos Revues. Cet aperçu des travaux de l’auteur laisse voir au public les Études de mœurs, aussi riches de tableaux gardés dans l’atelier du peintre que de tableaux exposés. Si donc l’étendue de l’œuvre paraît immense, l’auteur oppose une puissance, une énergie égales à la longueur et à la difficulté de son entreprise. Néanmoins M. de Balzac ne s’abuse point sur ses forces ; s’il a ses moments de courage, il a ses moments de doute. Il fallait ne pas le connaître pour l’accuser d’immodestie et d’exagération dans la croyance que tout homme doit avoir en soi-même quand il veut écrire. L’auteur qui a condamné à l’oubli tous ses livres écrits avant le Dernier Chouan, et qui, désespéré de l’imperfection de cet ouvrage, a