Page:Balzac Histoire des oeuvres 1879.djvu/71

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réalité, mais l’idéal de la grâce, de l’élégance, des belles manières, de l’esprit le plus fin, de la sensibilité la plus pénétrante. L’Illustre Gaudissart est un portrait un peu chargé du commis voyageur, physionomie si essentiellement de notre époque, et qui, comme le dit l’auteur, relie à tout moment la province et Paris. Ces figures accessoires, qui touchent à la caricature, prouvent avec quel soin M. de Balzac cherche à compléter son œuvre. Ne nous doit-il pas la caricature comme le type, l’individualité comme l’idéal ? La Grande Bretèche est une des plus fines esquisses de la vie de province. Le personnage de madame de Méré tient au système qui nous a valu madame de Beauséant et madame de Langeais. Ce drame est le plus terrible de tous ceux qu’a inventés l’auteur ; il doit troubler le sommeil des femmes. Les Scènes de la Vie de province sont terminées par le Cabinet des antiques, fragment d’histoire générale, et Illusions perdues. Cette livraison étant entièrement inédite, nous respecterons les intérêts du libraire, en laissant apprécier au lecteur comment M. de Balzac a complété son cadre. Aujourd’hui, malheureusement pour l’art, il est impossible de dégager la plus consciencieuse entreprise littéraire de la question pécuniaire qui étrangle la librairie et gêne ses rapports avec la jeune littérature. Les capitaux exigent des ouvrages tout faits, comme cet ambassadeur anglais voulait acheter l’amour.

La Femme vertueuse ouvre les Scènes de la Vie parisienne. À cette étude, nous reprocherons son titre, qui est une ironie d’autant plus injuste qu’il existe, dans les œuvres de l’auteur, un grand nombre de femmes belles et pieuses. Sa prétendue Femme vertueuse n’est qu’une prude revêche, intolérante et glaciale. Changez le titre, cette étude sera parfaite. Il n’y a pas moins de vérité dans le portrait de la femme illégitime que dans celui de l’épouse fanatiquement orthodoxe. La veuve Crochard, mère de Caroline de Bellefeuille, est une des créations les plus extraordinaires de l’auteur. Cette vieille comparse de l’Opéra, qui laisse aller sa fille rue Taitbout, et se contente de demeurer loin d’elle au Marais, sans se dire sa mère afin de ne pas lui nuire, est une conception qui, malheureusement, ne peut être appréciée qu’à Paris ; elle est germaine du Père Goriot. Madame Crochard vend presque sa fille, tandis que Goriot est purement heureux du bonheur de la sienne. Pourquoi donc a-t-on admis la veuve Crochard, et blâmé Goriot ? Paris respire tout entier dans cette scène où abondent les personnages et les intérieurs, celui de la maison rue du Tourniquet, celui du magistrat au Marais, et celui de la rue Teinture à Bayeux. Quel mouvement dans cette œuvre ! quelle jeunesse de talent ! La mort de la veuve Crochard est un tableau complet croqué en six pages. La Bourse est une de ces compositions attendrissantes et pures auxquelles excelle M. de Balzac, une page toute allemande qui tient à Paris par la description de l’appartement habité par une vieille femme ruinée, un de ses plus jolis tableaux de chevalet. Le vieil émigré suivi de son ombre, Adélaïde de Rouville et sa mère, sont des figures où le talent de M. de Balzac se retourne pour ainsi dire sur lui-même avec une souplesse inouïe. Ce tableau fait un contraste prodigieux entre la Femme vertueuse et le Papa Gobseck. En lisant Gobseck on est frappé de cette profondeur qui permet à M. de Balzac de deviner les différences qui séparent Gobseck, ce cousin de Shylock, et qui est l’avarice intelligente, puissante, haineuse, du père Gran-