Page:Balzac Histoire des oeuvres 1879.djvu/72

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det qui est l’avarice dans son instinct, l’avarice pure. Là paraissent, pour la première fois, ces trois personnages, M. de Trailles, M. de Restaud et sa femme, Anastasie Goriot, qui produisent tant d’effet dans le Père Goriot. Là commence également le personnage de Derville, l’avoué du comte Chabert. Une phrase, un mot, un détail dans chaque œuvre, les lie ainsi les unes aux autres et prépare l’histoire de cette société fictive qui sera comme un monde complet. Les Marana offrent trois personnages, Diard, Juana de Mancini, et la Marana qui, lors de leur apparition, ont le plus contribué à mettre l’auteur hors de ligne. L’Histoire de madame Diard est un de ces morceaux qui doivent faire rêver aussi bien les hommes que les femmes. Si Louis Lambert n’existait pas, cette œuvre, prodigieuse par le talent d’analyse qui s’y déploie, prouverait que M. de Balzac est aussi habile à la peinture métaphysique des sentiments que dans leur jeu dramatisé. Cette seconde partie des Marana, l’Histoire de madame Diard, est bien supérieure comme idées à la première, qui se recommande par le mouvement et les images ; il semble que M. de Balzac ait pris plaisir à mettre deux systèmes littéraires en présence. Le dénoûment, si bien préparé, est un des plus beaux de l’auteur, qui en compte tant de parfaits, qu’il a conquis le droit de finir ses drames à la façon de Molière, comme il lui plaît. Toutes les qualités de M. de Balzac se trouvent richement reproduites dans cette Histoire des Treize, qui est à elle seule toute une épopée moderne, où la nouvelle Sodome apparaît avec sa face changeante, grimée, mesquine, terrible ; avec son royal pouvoir, ses misères, ses vices et ses ravissantes exceptions. La mystérieuse union des Treize et le pouvoir gigantesque qu’elle leur assure au milieu d’une société sans liens, sans principes, sans homogénéité, réalise tout ce qu’il est permis à notre époque de comprendre et d’accepter de fantastique. Rien de saisissant comme le contraste des chastes amours de monsieur et de madame Jules et de la ténébreuse et effrayante physionomie de Ferragus. Le terrible ne joue pas un moindre rôle dans le deuxième épisode qui a pour titre : Ne touchez pas à la hache ; on y remarque surtout un portrait achevé d’une sœur cadette de la Femme sans cœur, ce type de la coquette, ou, si vous l’aimez mieux, de la vie parisienne, mais auquel il a rendu toutes les saintetés de la femme, en la rendant à l’amour et à la religion. Madame de Langeais acceptant le cloître comme le seul dénoûment possible de sa passion trompée, est un ressouvenir de mademoiselle de Montpensier, de la duchesse de la Vallière et des grandes figures féminines d’autrefois. La Duchesse de Langeais est une œuvre tout aristocratique, qui ne peut être comprise qu’au faubourg Saint-Germain, dont M. de Balzac a été, dont il sera le seul peintre. Dans la Fille aux yeux d’or, troisième épisode de l’Histoire des Treize, et dans Sarrasine, M. de Balzac a osé aborder la peinture de deux vices étranges, sans lesquels sa large vue de Paris n’eût pas été complète. Là, l’auteur s’est pris corps à corps avec la difficulté, et l’a vaincue. Il y a, dans la Fille aux yeux d’or, un boudoir vraiment féerique, mais décrit avec une telle exactitude, que, pour le peindre ainsi, l’auteur a dû l’avoir sous les yeux. Quoique vrai au fond, le caractère de Henry de Marsay est exalté au delà du réel. Cette observation, également applicable à Ferragus et au général de Montriveau, n’est point critique. Dans les trois drames où elles figurent, ces trois individualités devaient être à la hau-