Page:Balzac Histoire des oeuvres 1879.djvu/82

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échapper à nos poursuites. Nos mœurs interdisent à notre sexe les brutalités de répression, qui, chez vous (les femmes), sont des amorces pour un amant. — Je sais que la prudence de fatuité masculine ridiculise notre réserve ; nous vous laissons le privilége de la modestie, parce que vous avez le privilége des faveurs ! — Quel style ! quel langage ! Où êtes-vous, Cathos et Madelon ?

« Je serai, disait lady Arabelle à M. de Vandenesse, votre amie toujours, votre maîtresse quand vous voudrez ! » Voilà, certes, ce qui s’appelle être sortie de son rempart d’acier poli !

Que si vous tenez à savoir comment était faite cette nouvelle femme, écarquillez vos yeux, comme disait tout à l’heure M. de Balzac en parlant des paysans de madame de Mortsauf.

« Cette femme de lait, si brisée, si brisable, couronnée de cheveux de couleur fauve, dont l’éclat semble phosphorescent et passager, est une organisation de fer. Aucun cheval ne résiste à son poignet nerveux. Elle a un pied de biche, un pied sec et musculeux, sous une grâce d’enveloppe indescriptible ; elle tire les daims et les cerfs sans arrêter son cheval. Son corps ignore la sueur, il aspire le feu dans l’atmosphère et vit dans l’eau, sous peine de ne pas vivre. »

Oh ! oh ! devinez l’énigme !

1o  Je suis un corps ignorant la sueur ;

2o  J’aspire tous les feux du soleil en fureur ;

3o  Je vis dans l’eau, de peur de ne pas vivre.

Ce qui veut dire, je crois, que cette dame de feu prenait souvent des bains à domicile. Mais je vous assure, madame, qu’il faut terriblement suer, pour comprendre cela.

Poursuivons le portrait de cette intéressante lady :

« Sa passion est tout africaine, son désir va comme le tourbillon du désert (ceci ressemble beaucoup à la tourbillonnante agitation des sens de M. Félix), le désert dont ses yeux expriment l’ardente immensité, où l’excès arrive à la grandeur, où la volupté nue charme l’œil par le calme de sa force. » Quelles oppositions avec Clochegourde ! « L’une, madame de Mortsauf, attirant à elle les moindres parcelles humides pour s’en nourrir, l’autre exsudant son âme (autrement dit : aspirant le feu), enveloppant ses fidèles d’une lumineuse atmosphère ; celle-ci vive et svelte ; celle-là lente et grasse. » (Grasse ! ah ! de grâce, monsieur Balzac, servez-vous d’une autre expression pour définir madame de Mortsauf. Quel est l’amant qui a jamais dit à sa maîtresse : « Je t’aime parce que tu es grasse ! »)

Mais le portrait ne s’arrête pas là. Vous savez depuis longtemps que l’Angleterre est la divinisation de la matière. « Lady Arabelle possédait au plus haut degré cette science de l’existence qui bonifie les moindres parcelles de la matérialité, qui fait que votre pantoufle est la plus exquise pantoufle du monde, qui double en cèdre et parfume les commodes ; qui verse à l’heure dite un thé suave, savamment déplié (déplier le thé !) ; qui bannit la poussière, cloue des tapis depuis la dernière marche jusque dans les derniers replis de la maison, brosse les murs des caves ; qui fait de la matière une pulpe nourrissante et cotonneuse, au sein de laquelle l’âme expire sous la jouissance qui produit l’affreuse monotonie du bien-