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Page:Balzac Le Père Goriot 1910.djvu/144

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principe et j’attendrai longtemps ! L’on ne trouve pas dans les tribunaux trois juges qui aient le même avis sur un article de la loi. Je reviens à mon homme. Il remettrait Jésus-Christ en croix si je le lui disais. Sur un seul mot de son papa Vautrin, il cherchera querelle à ce drôle qui n’envoie pas seulement cent sous à sa pauvre sœur, et…

Ici Vautrin se leva, se mit en garde, et fit le mouvement d’un maître d’armes qui se fend.

— Et, à l’ombre ! ajouta-t-il.

— Quelle horreur ! dit Eugène. Vous voulez plaisanter, monsieur Vautrin ?

— La, la, la, du calme, reprit cet homme. Ne faites pas l’enfant : cependant, si cela peut vous amuser, courroucez-vous ! emportez-vous ! Dites que je suis un infâme, un scélérat, un coquin, un bandit, mais ne m’appelez ni escroc, ni espion ! Allez, dites, lâchez votre bordée ! Je vous pardonne, c’est si naturel à votre âge ! J’ai été comme ça, moi ! Seulement, réfléchissez. Vous ferez pis quelque jour. Vous irez coqueter chez quelque jolie femme et vous recevrez de l’argent. Vous y avez pensé ! dit Vautrin ; car, comment réussirez-vous, si vous n’escomptez pas votre amour ? La vertu, mon cher étudiant, ne se scinde pas : elle est ou n’est pas. On nous parle de faire pénitence de nos fautes. Encore un joli système que celui en vertu duquel on est quitte d’un crime avec un acte de contrition ! Séduire une femme pour arriver à vous poser sur tel bâton de l’échelle sociale, jeter la zizanie entre les enfants d’une famille, enfin toutes les infamies qui se pratiquent sous le manteau d’une cheminée ou autrement dans un but de plaisir ou d’intérêt personnel, croyez-vous que ce soient des actes