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Page:Balzac Le Père Goriot 1910.djvu/145

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de foi, d’espérance et de charité ? Pourquoi deux mois de prison au dandy qui, dans une nuit, ôte à un enfant la moitié de sa fortune, et pourquoi le bagne au pauvre diable qui vole un billet de mille francs avec les circonstances aggravantes ? Voilà vos lois. Il n’y a pas un article qui n’arrive à l’absurde. L’homme en gants et à paroles jaunes a commis des assassinats où l’on ne verse pas de sang, mais où l’on en donne ; l’assassin a ouvert une porte avec un monseigneur : deux choses nocturnes ! Entre ce que je vous propose et ce que vous ferez un jour, il n’y a que le sang de moins. Vous croyez à quelque chose de fixe dans ce monde-là ! Méprisez donc les hommes, et voyez les mailles par où l’on peut passer à travers le réseau du Code. Le secret des grandes fortunes sans cause apparente est un crime oublié, parce qu’il a été proprement fait.

— Silence, monsieur, je ne veux pas en entendre davantage, vous me ferez douter de moi-même. En ce moment le sentiment est toute ma science.

— A votre aise, bel enfant. Je vous croyais plus fort, dit Vautrin, je ne vous dirai plus rien. Un dernier mot, cependant.

Il regarda fixement l’étudiant :

— Vous avez mon secret, lui dit-il.

— Un jeune homme qui vous refuse saura bien l’oublier.

— Vous avez bien dit cela, ça me fait plaisir. Un autre, voyez-vous, sera moins scrupuleux. Souvenez-vous de ce que je veux faire pour vous. Je vous donne quinze jours. C’est à prendre ou à laisser.