Page:Balzac Le Père Goriot 1910.djvu/151

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avait vu passer au-dessus de sa tête ce démon qu’il est si facile de prendre pour un ange, ce Satan aux ailes diaprées, qui sème des rubis, qui jette ses flèches d’or au front des palais, empourpre les femmes, revêt d’un sot éclat les trônes, si simples dans leur origine ; il avait écouté le dieu de cette vanité crépitante dont le clinquant nous semble être un symbole de puissance. La parole de Vautrin, quelque cynique qu’elle fût, s’était logée dans son cœur comme dans le souvenir d’une vierge se grave le profil ignoble d’une vieille marchande à la toilette, qui lui a dit : « Or et amour à flots ! » Après avoir indolemment flâné, vers cinq heures Eugène se présenta chez madame de Beauséant, et il y reçut un de ces coups terribles contre lesquels les cœurs jeunes sont sans armes. Il avait jusqu’alors trouvé la vicomtesse pleine de cette aménité polie, de cette grâce melliflue donnée par l’éducation aristocratique, et qui n’est complète que si elle vient du cœur.

Quand il entra, madame de Beauséant fit un geste sec, et lui dit d’une voix brève :

— Monsieur de Rastignac, il m’est impossible de vous voir, en ce moment du moins ! je suis en affaire…

Pour un observateur, et Rastignac l’était devenu promptement, cette phrase, le geste, le regard, l’inflexion de voix, étaient l’histoire du caractère et des habitudes de la caste. Il aperçut la main de fer sous le gant de velours ; la personnalité, l’égoïsme, sous les manières ; le bois, sous le vernis. Il entendit enfin le MOI LE ROI qui commence sous les panaches du trône et finit sous le cimier du dernier gentilhomme. Eugène s’était trop facilement abandonné sur sa parole à croire aux noblesses de la femme.