Page:Balzac Le Père Goriot 1910.djvu/253

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craint que l’ombre de son abat-jour ne fût pas assez forte pour cacher l’expression de ses regards. Cette figure, qui leur était antipathique depuis si longtemps, fut tout à coup expliquée. Un murmure, qui, par sa parfaite unité de son, trahissait un dégoût unanime, retentit sourdement. Mademoiselle Michonneau l’entendit et resta. Bianchon, le premier, se pencha vers son voisin.

— Je décampe si cette fille doit continuer à dîner avec nous, dit-il à demi-voix.

En un clin d’œil chacun, moins Poiret, approuva la proposition de l’étudiant en médecine, qui, fort de l’adhésion générale, s’avança vers le vieux pensionnaire.

— Vous qui êtes lié particulièrement avec mademoiselle Michonneau, lui dit-il, parlez-lui, faites-lui comprendre qu’elle doit s’en aller à l’instant même.

— À l’instant même ? répéta Poiret étonné.

Puis il vint auprès de la vieille, et lui dit quelques mots à l’oreille.

— Mais mon terme est payé, je suis ici pour mon argent comme tout le monde, dit-elle en lançant un regard de vipère sur les pensionnaires.

— Qu’à cela ne tienne, nous nous cotiserons pour vous le rendre, dit Rastignac.

— Monsieur soutient Collin, répondit-elle en jetant sur l’étudiant un regard venimeux et interrogateur, il n’est pas difficile de savoir pourquoi.

À ce mot, Eugène bondit comme pour se ruer sur la vieille fille et l’étrangler. Ce regard, dont il comprit les perfidies, venait de jeter une horrible lumière dans son âme.

— Laissez-la donc, s’écrièrent les pensionnaires.