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Page:Balzac Le Père Goriot 1910.djvu/287

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suis devenue folle. Vous ne les aviez pas, j’avais tout dévoré…

— Non, dit le père Goriot, je n’aurais pas pu les faire, à moins d’aller les voler. Mais j’y aurais été, Nasie ! J’irai.

À ce mot lugubrement jeté, comme un son du râle d’un mourant, et qui accusait l’agonie du sentiment paternel réduit à l’impuissance, les deux sœurs firent une pause. Quel égoïsme serait resté froid à ce cri de désespoir qui, semblable à une pierre lancée dans un gouffre, en révélait la profondeur ?

— Je les ai trouvés en disposant de ce qui ne m’appartenait pas, mon père, dit la comtesse en fondant en larmes.

Delphine fut émue et pleura en mettant la tête sur le cou de sa sœur.

— Tout est donc vrai ! lui dit-elle.

Anastasie baissa la tête, madame de Nucingen la saisit à plein corps, la baisa tendrement, et l’appuyant sur son cœur :

— Ici, tu seras toujours aimée sans être jugée, lui dit-elle.

— Mes anges, dit Goriot d’une voix faible, pourquoi votre union est-elle due au malheur ?

— Pour sauver la vie de Maxime, enfin pour sauver tout mon bonheur, reprit la comtesse encouragée par ces témoignages d’une tendresse chaude et palpitante, j’ai porté chez cet usurier que vous connaissez, un homme fabriqué par l’enfer, que rien ne peut attendrir, ce monsieur Gobseck, les diamants de famille auxquels tient tant