Page:Balzac Le Père Goriot 1910.djvu/288

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M. de Restaud, les siens, les miens, tout, je les ai vendus. Vendus ! comprenez-vous ? il a été sauvé ! Mais, moi, je suis morte. Restaud a tout su.

— Par qui ? comment ? Que je le tue ! cria le père Goriot.

— Hier, il m’a fait appeler dans sa chambre. J’y suis allée… « Anastasie, m’a-t-il dit d’une voix… (oh ! sa voix a suffi, j’ai tout deviné), où sont vos diamants ? — Chez moi. — Non, m’a-t-il dit en me regardant, ils sont là, sur ma commode. » Et il m’a montré l’écrin qu’il avait couvert de son mouchoir. « Vous savez d’où ils viennent ? » m’a-t-il dit. Je suis tombée à ses genoux… j’ai pleuré, je lui ai demandé de quelle mort il voulait me voir mourir.

— Tu as dit cela ! s’écria le père Goriot. Par le sacré nom de Dieu, celui qui vous fera mal à l’une ou à l’autre, tant que je serai vivant, peut être sûr que je le brûlerai à petit feu ! Oui, je le déchiqueterai comme…

Le père Goriot se tut, les mots expiraient dans sa gorge. Enfin, ma chère, il m’a demandé quelque chose de plus difficile à faire que de mourir. Le ciel préserve toute femme d’entendre ce que j’ai entendu !

— J’assassinerai cet homme, dit le père Goriot tranquillement. Mais il n’a qu’une vie, et il m’en doit deux. Enfin, quoi ? reprit-il en regardant Anastasie.

— Eh bien ! dit la comtesse en continuant après une pause, il m’a regardée : « Anastasie, m’a-t-il dit, j’ensevelis tout dans le silence, nous resterons ensemble, nous avons des enfants. Je ne tuerai pas M. de Trailles, je pourrais le manquer, et, pour m’en défaire autrement je pourrais me heurter contre la justice humaine. Le tuer dans vos bras, ce serait déshonorer les enfants. Mais pour ne voir