Page:Balzac Le Père Goriot 1910.djvu/52

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dit Eugène en rentrant dans sa chambre. Il faut veiller pour bien savoir ce qui se passe autour de soi, dans Paris.

Détourné par ces petits événements de sa méditation ambitieusement amoureuse, il se mit au travail. Distrait par les soupçons qui lui venaient sur le compte du père Goriot, plus distrait encore par la figure de madame Restaud, qui de moment en moment se posait devant lui comme la messagère d’une brillante destinée, il finit par se coucher et par dormir à poings fermés. Sur dix nuits promises au travail par les jeunes gens, ils en donnent sept au sommeil. Il faut avoir plus de vingt ans pour veiller.

Le lendemain régnait à Paris un de ces épais brouillards qui l’enveloppent et l’embrument si bien, que les gens les plus exacts sont trompés sur le temps. Les rendez-vous d’affaires se manquent. Chacun se croit à huit heures quand midi sonne. Il était neuf heures et demie, madame Vauquer n’avait pas encore bougé de son lit. Christophe et la grosse Sylvie, attardés aussi, prenaient tranquillement leur café, préparé avec les couches supérieures du lait destiné aux pensionnaires, et que Sylvie faisait bouillir, afin que madame Vauquer ne s’aperçût pas de cette dîme illégalement levée.

— Sylvie, dit Christophe en mouillant sa première rôtie, M. Vautrin, qu’est un bon homme tout de même, a encore vu deux personnes cette nuit. Si madame s’en inquiétait, ne faudrait rien lui dire.

— Vous a-t-il donné quelque chose ?

— Il m’a donné cent sous pour son mois, une manière de me dire : « Tais-toi. »

— Sauf lui et madame Couture, qui ne sont pas regar-