Page:Balzac Le Père Goriot 1910.djvu/53

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dants, les autres voudraient nous retirer de la main gauche ce qu’il nous donnent de la main droite au jour de l’an, dit Sylvie.

— Encore, qu’est-ce qu’ils donnent ? fit Christophe, une méchante pièce ed’ cent sous. Voilà depuis deux ans le père Goriot qui fait ses souliers lui-même. Ce grigou de Poiret se passe de cirage, et le boirait plutôt que de le mettre à ses savates. Quant au gringalet d’étudiant, il me donne quarante sous. Quarante sous ne payent pas mes brosses, et il vend ses vieux habits, par-dessus le marché. Qué baraque !

— Bah ! fit Sylvie en buvant de petites gorgées de café, nos places sont encore les meilleures du quartier : on y vit bien. Mais à propos du grand papa Vautrin, Christophe, vous a-t-on dit quelque chose ?

— Oui. J’ai rencontré il y a quelques jours un monsieur dans la rue, qui m’a dit : « N’est-ce pas chez vous que demeure un gros monsieur qui a des favoris qu’il teint ? » Moi, j’ai dit : « Non, monsieur, il ne les teint pas. Un homme gai comme lui, il n’en a pas le temps. » J’ai donc dit ça à M. Vautrin, qui m’a répondu : « Tu as bien fait, mon garçon ! Réponds toujours comme ça. Rien n’est plus désagréable que de laisser connaître nos infirmités. Ça peut faire manquer des mariages. »

— Eh bien, à moi, au marché, on a voulu m’englauder aussi pour me faire dire si je lui voyais passer sa chemise. C’te farce !… Tiens, dit-elle en s’interrompant, voilà dix heures quart moins qui sonnent au Val-de-Grâce, et personne ne bouge !

— Ah bah ! ils sont tous sortis. Madame Couture et sa