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ÉSOPE

La nuit, sont montés sur mon navire et m’ont prise.
Ils m’ont refaite esclave, et mon sort obscurci
M’a par de longs chemins conduite jusqu’ici.
Ah ! dans ce clair palais, vermeil comme l’Aurore,
Si tu m’avais dit : Sois libre, mais je t’adore !
Peut-être étais-je femme à tomber dans tes bras.
À présent, c’est trop tard, fais ce que tu voudras.
Je subis, s’il le faut, la caresse d’un maître.

Crésus

Quoi ! libre, tu pourrais m’aimer ?

Rhodope

Quoi ! libre, tu pourrais m’aimer ? Qui sait ? Peut-être.
Car celle qui sourit sans chaîne et sans lien
Entend la voix qui parle à son oreille.

Crésus

Entend la voix qui parle à son oreille. Eh bien !
S’il ne faut que cela, si vraiment, délivrée,
Tu dois verser l’amour à mon âme enivrée,
Alors…

Rhodope

Alors… Sois généreux, dis. Ce dernier chaînon
Brise-le.

Crésus

Brise-le. Tu le veux ? Donc…

Rhodope

Brise-le. Tu le veux ? Donc… Je suis libre ?

Crésus, se ravisant.

Brise-le. Tu le veux ? Donc… Je suis libre ? Non.
Tu partirais !

Rhodope

Tu partirais ! Bon, tu n’es qu’un roi. Je respire.
Je t’avais cru d’abord plus grand que ton empire,
Crésus. Il n’en était rien.

Crésus

Crésus. Il n’en était rien. Je te garde encor.