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ÉSOPE

Ceyx et toi Lichas, tous les deux, vous irez
Chez lui chercher le coffre, et vous l’apporterez
Ici.

(À Ésope).

Ici. Tu resteras prisonnier, jusqu’à l’heure
Venue, en ce palais. Ah ! ma loyauté pleure,
Et pourtant j’avais cru ton cœur digne du mien.
Que me diras-tu pour te justifier ?

Ésope

Que me diras-tu pour te justifier ? Rien.
Que pourrais-je dire ? Un esclave est-il un homme ?
Il est moins qu’un chien, moins qu’une bête de somme.
Est-il né d’une femme et nourri de son lait ?
Non pas. Il est né dans la fange, puisqu’il est
Esclave. Ô citoyens, se peut-il qu’il se lave
D’une accusation ? Non pas. Il est esclave.
On a commis un crime, un vol ? Deuil éternel !
C’est lui le voleur et le pâle criminel,
Et tout crapaud vil peut le salir de sa bave.
Il ment, il fraude, il n’est pas homme. Il est esclave.
Qu’il soit courageux, fier, et d’un esprit subtil,
Et vaillant devant tous les dangers. Qu’importe ? Il
Est esclave. Et pourtant, ô profondeurs sacrées,
Il vous voit, gouffre obscur des voûtes azurées !

Crésus

Donc, tu n’as rien à dire. Et j’avais fait de toi
Hélas ! le premier du royaume après le Roi.
Je t’avais confié tous mes trésors et toute
Ma puissance, et tout mon espoir.

Ésope

Ma puissance, et tout mon espoir. À tort, sans doute,
Puisqu’on a pu devant toi, d’un cœur affermi,
Outrager celui dont tu faisais ton ami.
Ô Roi, tu vantais ma sagesse et mon génie,
Et me voilà tombé dans cette ignominie.

(Aux Lydiens).

Pourtant, quand je subis le céleste courroux,
Ô Lydiens ! s’il en est un seul parmi vous