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ÉSOPE



Scène troisième


CRÉSUS, RHODOPE, SAROULKHA.
Crésus, à Saroulkha.

Quel est ton nom ?

Saroulkha

Quel est ton nom ? Roi, je n’ai pas de nom. Je suis
L’espion. Oui, bientôt la foule inoccupée
Pourra sur quelque mur voir ma tête coupée
Et bientôt les corbeaux qui volent dans les cieux
Dévoreront ma bouche et mangeront mes yeux.
Donc, je n’ai plus besoin de porter un nom d’homme.
Pour toi, je suis Embûche et Ruse, et je me nomme
L’espion. Cydias sait pourquoi je venais.
Tout est dit.

Crésus

Tout est dit. Attends donc, mais je te reconnais.
Ton nom est Saroulkha. Lorsque je vins naguère
En ami, voir le roi Cyrus, avant la guerre,
Il n’était question que de toi dans sa cour,
Ton renom de héros grandissait chaque jour.
On avait pu te voir, dans les plaines du Xante,
Insultant le danger d’une voix méprisante,
Combattre sans faiblir, une blessure au flanc,
Jusqu’au soir, tout couvert de poussière et de sang.
Une invisible foudre, à frapper occupée,
Suivait les aveuglants éclairs de ton épée.
Surgissant tout à coup sur des corps entassés,
Tu ne disais jamais au combat : c’est assez !
Frappant sur l’ennemi de tes mains toujours sûres,
Tout poudreux, tu riais au massacre, aux blessures,
Choisissant le chemin par les traits obscurci,
Terrible ; et maintenant je te retrouve ici,
Déguisé, remuant de l’or pour le répandre
Dans le hideux bourbier des cœurs qui sont à vendre !
Et ce vil espion, ce corrupteur, c’est toi !