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Page:Banville - Œuvres, Le Sang de la coupe, 1890.djvu/138

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le sang de la coupe

La mère, elle, tressaille en faisant la toilette
De sa fille, et jetant, de larmes arrosé,
Un œil de désespoir sur l’enfant qu’elle allaite,
Le berce avec terreur sur son sein épuisé.

Mais vous venez, ainsi qu’une aurore vermeille,
Des rayons de vos yeux dorer ces pauvres murs,
Et, comme un serviteur qui vide sa corbeille,
Vous faites de vos mains tomber les épis mûrs !

Consolant tout ce monde avec mélancolie,
Vous leur dites avec un sourire divin :
Celui qui songe à tous jamais ne vous oublie ;
Mangez, voici du pain ; buvez, voici du vin.

Et tous ces malheureux, retrouvant l’espérance
Rien qu’à vous voir ainsi, pensent avec raison
Que, venus de là-haut pour calmer leur souffrance,
Des Anges de lumière entrent dans leur maison !

Car, lorsque pour six mois a fui la saison douce
Où le contentement tombe du ciel vermeil,
On dit : Que reste-t-il à ceux que tout repousse
Et qui n’ont plus pour eux l’air pur et le soleil ?

À ceux-là qui le soir souffrent un long martyre
En voyant s’allumer les vitres des palais ?
Au marin dont la mer a brisé le navire ?
Au pêcheur dont la vague a troué les filets ?