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le sang de la coupe

Car l’amour est cette onde où tout le corps se plonge
Et dont la lèvre en feu baise en riant les bords ;
C’est ce vase d’eau pure et cette fraîche éponge
Qui lave à ses baisers les souillures du corps ;
Et sans l’amour tout n’est que folie et mensonge,
Car tout est dans l’amour et rien n’est en dehors.

C’est le seul vrai devoir et la seule science ;
Et les hardis plongeurs dont le regard profond
Comme une vaste mer fouille la conscience,
N’ont rien trouvé de plus en allant jusqu’au fond.
Heureux celui qui voit avec insouciance
Les idoles sans yeux que les hommes lui font !

Aux parfums des jasmins et de la tubéreuse,
Dans les jardins aimés du soleil radieux,
Il s’enivre à loisir d’accords mélodieux ;
Nul souci ne s’attache à sa vieillesse heureuse,
Et dans les bras charmants d’une vierge amoureuse
Cet homme fortuné devient pareil aux Dieux.

Mais celui dont les dents ont fui ma coupe amère
Et qui n’a pas dormi sur un sein libre et fier,
Quand sur lui tomberont les neiges de l’hiver
Celui-là pleurera sur sa vaine chimère,
Et, comme les guerriers aux cuirasses de fer,
Il maudira trois fois son aïeule et sa mère !