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trente-six

Parfois, montant Pégase au fier naseau,
J’ai de ma chair laissé quelque morceau
Parmi les rocs ; plus d’une cicatrice
Marquait alors mon front de jouvenceau,
Tu le sais, toi, ma mère et ma nourrice.

Et je me crois maître de l’univers !
Car pour orner ma riche fantaisie,
J’ai des rubis en mes coffres ouverts,
Tels qu’un avare ou qu’un sultan d’Asie.
Foin de l’orgueil et de l’hypocrisie !
Comme un orfèvre, avec le dur ciseau
Dont mainte lime affûte le biseau,
Je dompte l’or sous ma main créatrice,
Car une fée enchanta mon berceau,
Tu le sais, toi, ma mère et ma nourrice.

Envoi.

Ma mère, ainsi j’aurai fui tout réseau.
N’étant valet, seigneur ni damoiseau.
(Que de ce mal jamais je ne guérisse !)
J’aurai vécu libre comme un oiseau,
Tu le sais, toi, ma mère et ma nourrice.


19 novembre 1869.