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le baiser

Bref, un de ces vols qui, dans les grands Magasins
Du Louvre, font dresser l’oreille aux argousins,
Une fraude à coup sûr très intentionnelle,
Qui vous mènerait droit en correctionnelle !
Je pars ! Et vous croyez que je serai content !
Non, j’ai fourni, madame, un bon baiser comptant.
La dette est claire. Elle eût semblé même évidente
Au siècle qui chanta Béatrice — et vit Dante !
Ma créance est liquide, et pour que vous puissiez
Me payer, j’enverrai, s’il le faut, les huissiers.
J’ai droit au baiser. — Là, ne prenez pas la fuite,
Madame ! Non pas fin courant, mais tout de suite.

Urgèle.

Si ce n’est que cela qu’il faut pour t’apaiser.
Bon Pierrot, je veux bien te rendre ton baiser.

Pierrot.

Un baiser ! C’est assez pour ma chienne de face !
Et que voulez-vous donc, madame, que j’en fasse ?
Allez au désert fauve, et faites-lui cadeau,
Pour rafraîchir son sable en feu d’un verre d’eau !
Et quand Rothschild, qui peut acheter la Grande Ourse,
Plongeant dans le grand flot que l’on nomme : la Bourse,
De cet Océan d’or explore les dessous,
Désintéressez-le, madame, avec deux sous !
Demandez aux brillants auteurs, Alphonse, Émile,
S’ils se contenteraient de se vendre à vingt mille ;