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le sang de la coupe

Meurs ! puisque tu t’endors ivre de la Matière,
Sans songer seulement au courroux de Cypris,
Ainsi qu’un animal couché sur sa litière,
Stupide, et l’œil blessé par la blancheur des lys !
Puisque tu fais horreur à la nature entière
Et qu’il ne reste rien dans l’âme de tes fils !

Puisque le canon seul résonne à tes oreilles !
Puisque devant les fouets irrités et cinglants,
Plus stupide en effet à l’heure où tu t’éveilles
Que les premiers humains qui ramassaient des glands,
Tu ne sais accomplir de plus rares merveilles
Que de pousser des cris sur des pavés sanglants !

Puisque au pied des gibets où ta haine me cloue,
Ta prunelle hébétée, insensible aux couleurs
Des astres et des cieux, de la mer et des fleurs,
Adore la Fortune assise sur sa roue,
Et que l’or et l’argent, deux espèces de boue,
Sont devenus tes Dieux, comme ceux des voleurs !

Puisque, bravant les lois qu’ils ont instituées,
Et flairant le sang jeune, ainsi que des vautours,
Tes libertins, remplis de vices et de jours,
S’en vont, âmes sans frein, du beau destituées,
Près des enfants qu’au mal ils ont prostituées,
Souiller leurs cheveux blancs le long des carrefours !