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Page:Banville - Œuvres, Les Exilés, 1890.djvu/105

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LES EXILÉS

Et, chaque soir, gorgé de vie et de caresses,
Il s’endormait repu sur le flanc des tigresses.
Au réveil, tous ces durs artisans de trépas
Étayaient de leurs corps puissants les premiers pas
De l’Exilé divin, né pour la grande lutte,
L’aidant, le consolant d’une légère chute,
En lui donnant aussi pour supporter le mal
La résignation morne de l’animal.
Il grandit, il devint fauve comme ses hôtes,
Marchant, courant déjà parmi les herbes hautes,
Nu, superbe, et portant, sauvage enfantelet,
Sur son épaule en fleur, que le soleil hâlait
Et dévorait jusqu’à l’heure du crépuscule,
La peau d’un lionceau, comme un petit Hercule.
Lui-même, de sa main mignonne, avait cueilli
La massue ; alors ceux qui l’avaient recueilli
Connurent qu’ils pouvaient, sans tarder davantage,
Donner au jeune roi des leçons de carnage.
Son heure était venue et, déjà belliqueux,
Il s’en alla dès lors à la chasse avec eux.
Comme Ariane dans Naxos, l’île enchantée,
Étendu sur un tigre à la peau tachetée,
Il les suivait, mêlant sa voix aux hurlements ;
Joyeux, montrant devant les torrents écumants
L’impassibilité magnifique des bêtes,
Il s’en allait pensif en guerre, en chasse, aux fêtes,
Au meurtre, et quand passaient, avec des bonds soudains,
La gazelle aux yeux bleus, l’antilope, les daims,