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LES EXILÉS

Les chêvres, les troupeaux de cerfs, les bœufs difformes,
Son tigre le posait sous les feuilles énormes,
Dans une solitude où rien ne le gardait,
Et là, les yeux tout grands ouverts, il regardait.
Il voyait le combat sinistre, la vaillance,
La victoire, comment le fier lion s’élance
Sur sa victime avec de grands bonds souverains,
La terrasse d’un coup de griffe sur les reins,
Puis la déchire ; et quand ce beau guerrier qui tue
Marchait, crinière au vent, sur sa proie abattue,
Quand le cerf éventré sur la terre appelait
Sa compagne en versant des larmes, et râlait,
Quand tout n’était que deuil, massacres, funérailles,
Quand le sol tout humide était jonché d’entrailles,
Quand tout autour du bois l’épouvante criait,
Le petit Éros blond et charmant souriait.
Plus tard même il entra nu parmi ces mêlées.
Ses tresses d’or au vent orageux déroulées,
Et sur les monts toujours le premier aux assauts,
Il aidait à leurs jeux les petits lionceaux,
Se jetant sur sa proie, étouffant dans ses courses
D’humbles victimes ; puis se lavant dans les sources,
Et n’ayant rien qui hors le combat lui fût cher ;
Dépeçant, enfonçant ses ongles dans la chair,
Dans les cris des mourants cherchant des harmonies
Et tout le long du jour enivré d’agonies,
De râles, de sanglots et de cris triomphants,
Excitant les lions contre les éléphants,