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LES EXILÉS

Sans souci de meurtrir la dépouille superbe
De ses compagnons morts, pour avoir une gerbe
De traits, il ajusta sur des bouts de roseau
Une griffe de tigre et des plumes d’oiseau.
Alors, sans un adieu jeté vers les clairières,
Fier d’avoir assorti ces flèches meurtrières,
Il prit sa course à l’heure où le ciel se dorait,
Et, le cœur tout joyeux, sortit de la forêt.
Il arriva d’abord près d’un lac dont l’eau pure
Réfléchissait le ciel dans la haute verdure,
Et dont le flot qu’un souffle émeut, rideau changeant,
S’effaçait à demi sous les lotus d’argent,
Ces lys chastes, ces lys faits en forme de rose !
Là, mêlant leurs beaux corps polis que l’onde arrose,
Des Nymphes s’y baignaient, fuyant l’âpre chaleur,
Couronnant leurs cheveux de la divine fleur,
Rieuses, folâtrant, voguant sur les eaux calmes,
Et parfois sur leurs fronts cueillant de vertes palmes
Pour leurs jeux, ou tressant des colliers odorants,
Ou, parmi la fraîcheur des doux flots murmurants,
Sœurs dociles, fendant l’écume en longues lignes,
Si belles qu’on eût dit une troupe de cygnes
Dans l’azur ! Mais voici que le cruel Amour,
Ayant tendu son arc, les frappa tour à tour
De ses flèches de feu. Les Nymphes éperdues,
Quittant le lac, au loin sur les roches ardues
Couraient, folles, sentant brûler leurs seins meurtris,
Arrachant leurs cheveux touffus, poussant des cris,