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LES EXILÉS

Ne sachant plus où fuir l’épouvantable outrage,
Et se roulaient dans l’herbe avec des pleurs de rage.
L’enfant Éros, content de ce premier exploit,
Regarda les grands cieux qu’il menaça du doigt,
Et, sans vouloir entendre une plainte importune,
Entra dans l’univers pour y chercher fortune.
Ô Muse, c’est ainsi que le dessein prudent
Du roi Zeus fut trompé ; c’est ainsi que, pendant
Son enfance, l’Amour apprit des tigres même
La cruauté, la ruse et la fureur suprême,
S’endormit près des grands lions dans les bois sourds,
Et fut le compagnon de guerre des vautours.
C’est ainsi que ce fils éclatant d’une mère
Adorable épuisa la jouissance amère
De voir pleurer, de voir souffrir, de voir mourir
Et de causer des maux que rien ne peut guérir.
Et c’est pourquoi tu fais notre dure misère,
C’est pourquoi tu meurtris nos âmes dans ta serre,
Amour des sens, ô jeune Éros, toi que le roi
Amour, le grand Titan, regarde avec effroi,
Et qui suças la haine impie et ses délices
Avec le lait cruel de tes noires nourrices !


Novembre 1864.