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LES EXILÉS


Mais surtout, mais surtout que vos âmes soient blanches
Comme la neige où rien d’humain n’a mis sa trace !
Blanches comme l’horreur pâle des avalanches
Qui roule au flanc des monts irrités de la Thrace !

Ah ! s’il est vrai qu’il faut à la fureur lyrique
Des victimes dont l’âpre Amour ait fait sa proie
Et que l’ardente soif d’un bonheur tyrannique
Torture encor par la douleur et par la joie,

Ah ! du moins, jeunes sœurs, que la Pensée altière
Affranchisse vos sens de toutes les souillures !
Ivres de volupté pourtant, que la Matière
Ne vous offense pas de ses laideurs impures !

Car celle qui, pour fuir le fardeau de la vie,
Impose à son extase une forme sensible,
Et veut boire, au festin où son Dieu la convie,
Le vin matériel dans la coupe visible,

Ne connaîtra jamais l’implacable démence
Qui met dans nos regards la clarté des aurores
Et qui fait résonner comme un sanglot immense
L’hymne de nos douleurs sur des cordes sonores !

Celle qui n’ose pas mépriser la nature
Et qui, par les désirs terrestres endormie
Dans l’engourdissement où vit la créature,
Ne sait pas, en tenant la main de son amie,